La vie retrouvée
des voituriers tirachiens / 14
dans les forêts d'Ile de France


  Recensement 1836: autres voituriers et travailleurs des bois en 77

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   Courrier

 
 

Philippe Joseph Badoulet s'installa définitivement à la Chapelle Rablais en 1803, sans pour autant couper les ponts avec le village de Beauwelz (Momignies) où il retourna fréquemment "pour affaires de famille". Ses affaires professionnelles le portèrent de forêt en forêt au gré du travail qu'il savait y trouver.

Ainsi, en 1816, il part dans l'Aube pour travailler dans la forêt de la Fourtière avec deux compagnons, voituriers comme lui: Jean Joseph Laîné et Joseph Bouillard. La Fourtière serait une forêt proche d'Ervy le Chatel, à la limite de la forêt d'Othe d'où sont originaires quelques migrants que l’on retrouve près de la Chapelle Rablais: charbonniers, marchandes de bagues de Saint Hubert, ouvriers saisonniers... Voituriers et forains sont voisins, tous habitent les Montils, et plus tard seront unis par le mariage car Philippe Cyprien Badoulet, fils de Philippe Joseph, épousera en 1835 Joséphine Rose, de la famille Fouré. (autre localisation, voir plus loin)
A un moment où le travail se faisait plus rare en forêt de Villefermoy, les Fouré ont peut être orienté les Badoulet, Laîné et Bouillard vers la forêt d’Othe qu’ils connaissaient bien.

Voir la page "femmes sur les chemins"

Voir les pérégrinations d'Anne Sylvie Fourrey au chapitre "marchandes de bagues de Saint Hubert"

Philippe Badoulet et Joseph Bouillard vont travailler en forêt d'Othe (ou de Traconne) en mars 1816, rejoints par Jean Joseph Laîné, fin avril. En mai 1824, ce sera aussi la destination de Charles Thomas Nival, fils d'un voiturier thiérachien décédé en 1800, dont la veuve, Anne Geneviève Bony, épousa en 1803 ledit Badoulet qui éleva les enfants Nival avec ceux qu'il eut d'Anne Geneviève.
En avril 1823, Philippe Joseph Badoulet se rend "du côté de Sourdun pour y chercher de l'ouvrage de son état de voiturier". Son "fils" , Charles Thomas Nival, vingt quatre ans, l'accompagne.
A chaque fois, il ne s'agit pas de déménagement: la famille Badoulet reste aux Montils où la présence de Philippe Joseph est attestée plusieurs fois entre ses périodes dans les forêts éloignées, comme on voit d'autres voituriers conserver leurs attaches à Momignies alors qu'ils travaillent en Ile de France.

L'adjoint de la commune de Montmort s'est un peu emmêlé la plume d'oie puisqu'il mélange lieu de naissance et de résidence. A-t'il mal lu le passeport ? ou mal compris les déclarations d’un témoin; le fils Badoulet n’est pas cité, était-il absent, ou son jeune âge, 19 ans, ne lui permettait-il pas de figurer comme témoin sur le registre d’Etat civil? Sur la même page est notée la mort d’une fillette au nom lui aussi prédestiné. Elle s’appelle Marie Augustine Héloïse Décès et n’avait qu’un an, ses parents résidaient eux aussi au hameau de Chauderue. A cette époque, rien d’inhabituel au décès d’un bébé: sur quatre nés, l’un ne passait pas la première année, un second n’atteignait pas l’âge adulte, dans des conditions normales; on ne parle pas de la mortalité effrayante des "Petits Paris" mis en nourrice à la campagne, sujet d'un dossier en préparation.

Voir la liste des Petits Paris morts à la Chapelle Rablais

En août 1826, avec son fils légitime François Philippe Badoulet, il demande un passeport pour se rendre dans la Marne, à Montmort. Funeste nom et funeste destination car c'est là que Philippe Joseph, le père, trouvera la mort.

"L'an mil huit cent vingt six, le vingt huit septembre, quatre heures du soir, par devant nous adjoint de la commune de Montmort, sont comparus André Lebrun âgé de trente un ans et Pierre Armand Bérat, manouvriers demeurant à la Chauderue, commune de Montmort.

Lesquels nous ont déclaré que Philippe Badoulet employé comme voiturier à la vente de la Charmoye, âgé d'environ cinquante huit ans, époux de Marie Anne Boni, né en la commune de la Chapelle Rabelais, département de Jemmapes est décédé de ce jourd'hui à onze heures du matin au domicile du sieur Oudin, aubergiste audit la Chauderue, et ont les comparant signé avec nous, après lecture faite."

Une épidémie est probable car le vingt six septembre, deux jours avant Philippe Badoulet, mourut, dans le même hameau de la Chauderue, Nicolas Bertrand, lui aussi employé comme voiturier à la vente de la Charmoye, né à Fourmy (Fourmies à 11 kilomètres de Momignies), décès déclaré par François Piette, lui aussi de Fourmies, voiturier, et doublement beau frère car Nicolas Bertrand avait épousé Rose puis Catherine Piette.

Ces actes révèlent une nouvelle concentration de voituriers, en relation avec ceux de Villefermoy. Car si la famille Piette ne figurait pas dans les listes de la Brie, la famille Bertrand était déjà connue: Marie Catherine épousa Nicolas Docquière, premier voiturier à avoir laissé une trace à la Chapelle Rablais. Bertrand et Nival sont aussi liés.

A quelques kilomètres de Montmort, proche de la forêt de la Traconne, on découvre un "nid" de voituriers aux relations encore plus étroites avec la petite tribu de Brie.
On avait noté la présence d'au moins huit Nival, voituriers dans les forêts de Brie, le "patriache" en étant Charles François 1739/ 1804. On en découvre une autre branche dans le village du Gault Soigny, canton de Montmirail, dans la Marne. Le "patriache" étant cette fois Nicolas Joseph né en 1731.
Charles François et Nicolas Joseph sont tous deux fils de Jacques, né à Saint Michel en 1697, dans le département de l'Aisne, à trois sauts de puce de Momignies où Jacques, le grand ancêtre décéda en 1741. Avec Marie Laisnet, il eut au moins une fille: Marie Françoise, 1728 et trois fils qui ont transmis le nom de famille: Nicolas Joseph né en 1731, actif dans la Marne; Pierre Laurent en 1735 dont on a des traces à Momignies; et Charles François en 1739 à la base de la lignée de Brie.
Les liens entre eux n’ont pas cessé, malgré le relatif éloignement:
Fils de Jean Baptiste Nival (décédé au Meix St Epoing en 1790), originaire du Hainaut, Jean François, 21 ans, est en Brie en 1810 puisqu'il demande un passeport pour se rendre à Momignies. Son témoin est Nicolas Docquière qu'on voit décidément partout! C'est dans le canton d'Anglure, Marne, qu'il décèdera.
Un Pierre Laurent de la troisième génération, né à Momignies en 1776, est présent en Brie en 1799 où il est témoin à la déclaration d'enfant naturel (est-il le père?) il réside alors aux Ecrennes. En 1800, il est témoin/parrain de la fille posthume de son cousin Thomas, mort aux Trois Chevaux, Chapelle Gauthier, quelques jours avant la naissance de sa fille. La résidence de Pierre-Laurent est alors Momignies, ce qui signifie qu’il n’a pas fait le choix de se fixer en Brie, par contre, il dut s’installer dans la Marne puisqu’il décéda au Gault Soigny, en 1840.
Quant à Philippe Joseph, voiturier qui eut le malheur de mourir à la ferme de la Grande Loge, Echouboulains, Brie, c'était le propre fils de Nicolas, "patriache" de la Marne.
D'autres liens Brie / Marne peuvent être mis en évidence. Quand, en 1808, Nicolas Pupin, voiturier thiérachien, décède dans sa maison des Trois Chevaux, en bordure de la forêt de Villefermoy, le garde champêtre Guérard de la Chapelle Gauthier ne tarde pas à tout mettre sous scellés, il demande d’ailleurs trois francs "pour le voyage par lui fait au Châtelet à l'effet de l'apposition des scellés". Il place les cinq chevaux, trois juments, une pouliche, un poulain chez la jeune veuve Roubault, au Petit Vincennes, un hameau très proche (Denis François Roubault est décédé depuis moins d’un an, c’est lui qui avait vendu une maison au défunt Nicolas Pupin). Marie Antoinette Roubault - qui se fait appeler Marie Etienne ou Etiennette depuis la Révolution, allez savoir pourquoi? a aussi la charge de loger le garçon voiturier du défunt: Louis André Gorget qui doit veiller sur la maison des Trois Chevaux et son maigre contenu jusqu’à la vente aux enchères: "audit Gorget ses gages courus depuis le huit décembre 1807 jusqu'à ce jour la somme de cent cinq francs six centimes sur le pié de deux cent six francs pour le tems de six mois. tant pour ses gages que pour rétribution comme gardien desdits scellés."
Marie-Etienne Roubault aura aussi la charge de loger les deux exécuteurs testamentaires venus de Momignies, représentant Marie Catherine Pupin, soeur et héritière du voiturier défunt: "tant pour avoir nourri et logé ledit Gorget domestique dudit Pupin et logé les chevaux du même que pour fourniture faite audit Pupin et nourriture et logement fournis auxdits Bourguignon et Lecoyé depuis environ quinze jours." Elle percevra 254 francs pour ses services. Citations: différents actes de la succession Pupin AD77 273 E 31

Jusqu’à présent, aucun rapport évident avec la Marne. Mais, trois ans après, en 1811, la toujours jeune veuve Roubault née Maugis en 1782, épouse Louis Serein Gorget, 27 ans, charbonnier, "domicilié de droit à la Forestière, canton d'Esternay, Marne, demeurant au Petit Vincennes", hameau de la Chapelle Gauthier proche de la forêt de Villefermoy et des Trois Chevaux où l'on note une forte concentration de Tirachiens. C’est le frère du valet de voiturier, dont on peut ainsi remonter la généalogie. Tous deux sont les fils de Pierre Gorget, charbonnier et Geneviève Briard. Ils ont nés aux Essarts et résident à la Forestière, à trois kilomètres, à l'ouest de la forêt de la Traconne.
Louis Serein Gorget et Marie Etiennette feront un bébé à une allure record, puisque Louis Dominique naîtra quarante jours seulement après le mariage! Le couple habite encore la Chapelle Gauthier, Brie centrale en septembre 1813, quand nait Jean Claude ainsi qu'en 1815 pour Virginie. Puis, entre 1815 et 1820, il déménage en Brie champenoise, les naissances suivantes ont lieu à la Forestière, Marne: Louise Joséphine, Louis Serein... Le frère, Louis André Gorget, domestique du voiturier défunt, est retourné dans sa région natale pour s'y marier en 1811. Il y mourra à l'âge de 42 ans, en 1829. Louis Serein vivra 74 ans, né avant la Révolution, il s'éteindra sous Napoléon III, en 1758.

A l'occasion de la naissance du premier bébé Gorget-Maugis, on découvre comme témoin un nouveau voiturier: Jean Baptiste Tocq, voiturier par terre, 27 ans, commune du May (le Meix St Epoing), à la lisière nord de la Traconne.

Et l’on retombe sur un autre "nid" de Tirachiens, signalé par un membre de Marne-Archives qui avait remarqué une concentration de voituriers dans le canton d’Esternay, certains étant notés "Thiérachiens": les familles Tocq, Halbardier, Bourguignon...
Comme pour les voituriers de Villefermoy, ces familles sont liées entre elles: les familles Tocq, Albardier et Gorget réunies lors du mariage en 1837, au Meix Saint Epoing d’André Eugène Tocq, 24 ans, fils de Jean Baptiste Tocq et Geneviève Gorget, avec Marie Anne Albardier.

Lien vers le site Marne Archives
Les lieux fréquentés: Brie,Marne,Hainaut
Fichier: traces des voituriers

Les Nival se concentrent dans le village du Gault Soigny, canton de Montmitail, 682 habitants en 1800; les familles Tocq et Halbadier résident au Meix Saint Epoing, canton d’Esternay, 285 habitants; les Gorget nés aux Essarts le Vicomte 241 habitants, résident à la Forestière, canton d’Esternay, 342 habitants; Philippe Joseph Badoulet, après avoir travaillé en forêt de Sourdun, termine sa vie à "Mont-Maur, la Haute Chaudru" comme l'indique la carte du XVIII°s.

Montmort, le Meix Saint Epoing, le Gault, les Essarts, la Forestière, de même que Sourdun sont tous des bourgs à la limite entre le plateau de Brie et la Champagne, nichés sur la bande forestière de la Côte d’Ile de France: à l'ouest, les larges parcelles de prés et de cultures de Brie, la bande forestière, la pente caillouteuse puis les longues et étroites parcelles des vignes de Champagne à l'est.

Si aujourd'hui, la côte de Sourdun ne débouche plus sur des vignobles, au XVIII° siècle, toute la Côte était plantée: les vignerons pullulaient à Sourdun, à Chalautre... comme dans tous les lieux un peu secs et pentus: la Chapelle Gauthier, Fontenailles, Machault dont les vignobles étaient réputés... On en trouvait même un à la Chapelle Rablais, au sol argileux et plat: la vigne profitait d'un affleurement de sable et de grès, non loin de l'actuelle salle des fêtes. Sa piquette devait justifier l’opinion de Boileau:" Je consens de bon coeur, Pour punir ma folie, Que tous les vins pour moi deviennent vins de Brie"
Les Satires III
En 1753, on affirme que "de tous tems, pour la vuidange des bois & le transport sur les Ports, les Marchands Adjudicataires dans les Forêts du Roi & Bois appartenant aux Ecclésiastiques & Seigneurs, se sont servis de Voituriers vulgairement nommés Thiérachiens."
Sentence qui maintient les Voituriers dans l'usage du Paccage, Du 23 Août I753 dans Code rural, ou Maximes et réglements concernant les biens de campagne ... De Antoine Gaspard Boucher d'Argis
S’il existe des concentrations de "Tirachiens" ayant pris racine près des bois de la Brie, de la Côte d’Ile de France et de Montargis, il devait s’en trouver d’autres près d’autres forêts. Malgré toute ma bonne volonté, je suis dans l’impossibilité de dépouiller les registres de toutes les paroisses boisées (merci à ma chère Watson qui épluche les recensements de toutes les communes un peu touffues). Plusieurs appels sur les forums n’ont donné que peu de résultats. Si, au hasard de votre curiosité, vous avez remarqué une concentration anormale de voituriers, près des bois et loin des grands chemins, et si, en plus, on précise "thiérachien", vous êtes certainement tombé sur une nouvelle nichée! Merci de m’en informer.

Comme pistes pour d'autres recherches, voici la liste des forêts qui alimentaient Paris en bois, au XVIII° siècle:
"Les besoins d'avoir du bois ayant augmenté à proportion & par les mêmes degrez de l'accroissement de la Ville & du nombre de ses habitans, l'on fut obligé de s'étendre plus loin pour en tirer ses provisions: les forêts de Laye, de Sennar, de Livry & de Bondy, qui en sont les plus proches, en fournirent d'abord suffisamment, l'on fut obligé dans la suite des temps de s'éloigner encore, & d'avoir recours aux forêts de Bierre ( Dossier: la forêt de Bièvre, forêt des origines), de Crecy en Brie, de Sourdun & de Jouy, dans le baillage de Provins, de Halatte, de Pommeray, de Cuise dans le baillage de Senlis, de Retz & de Lesque, dans le Duché de Valois, de Hest dans le Comté de Clermont, et à celles d'Orléans, de Boisgency, de Blois, de Boulogne, de Loches, d'Amboise, de Montargis, de Coussy & de Chinon, & enfin de s'étendre jusques en Normandie, pour en tirer aussi du bois des forêts de Lions, de Bleu, de Neaufle, de Vernon, de Bacqueville Baillage de Gisors, de Romare, de Rouvray, de la Londe, de Longbreil de Bord, de Pont eau de mer, Baillage de Roüen, de Dreux, d'Arques, de Helles, de Lucray de Gravauchon & de Molvrier, au baillage de Caux. Il seroit enfin trop long de parcourir tous les noms des autres forêts, bois, ou buissons des Domaines du Roy, de ceux de l'Eglise, ou des Particuliers, d'où cette grande Ville a tiré autrefois, & en différens temps, & tire encore aujourd'huy une partie de ses provisions du bois que l'on nomme Bois neuf."

Traité de la Police où l'on trouvera l'histoire de son établissement les fonctions et les prérogatives de ses magistrats Toutes les loix et tous les reglemens qui la concernent Tome troisième Par M. De La Mare, conseiller Commissaire du Roy au Châtelet de Paris
à Paris Chez Michel Brunet, Grand Salle du Palais, au Mercure Galant 1719

Signature approximative d'un Nival, présent, sans mention de prénom, le 18 octobre 1796 au mariage de Pierre Deruelle, voiturier thiérachien et Marie Madeleine Cercot

 

La même semaine que Philippe Badoulet et la pauvre Héloïse Décès, on note la mort d'Eugène Collet, originaire de Séloignes, proche Momignies, à Igny le Jard dans le massif forestier où Philippe Badoulet trouva la mort. On y découvre un carrefour nommé "la Lune des Tire à Chiens", preuve de la fréquentation de ces bois par nombre de voituriers de la Thiérache. Eugène Collet était charbonnier, mais on verra plus loin que les métiers de la forêt étaient liés.
Les "nids" de voituriers
cités dans cette page ou les suivantes
en bleu: Villefermoy
en rouge: Momignies
orange: voituriers de la Marne,rivière et département, Traconne, région de Montmort et forêt d'Othe
en vert: forêts de Picardie fréquentées par les voituriers
en violet: les Luxembourgeois de Montargis
La mystérieuse "forest de la Fortière" diversement écrite Fourtière, Fourtierre, située dans l'Aube, s'il faut en croire les passeports de Philippe Joseph Badoulet et de Joseph Bouillard en mars 1816, ne serait-elle pas en fait la forêt autour du village de la Forestière, puisque le passeport de Jean Joseph Laîné, d'avril 1816, indique : "allant à la Fourtierre, département de la Marne et autres départements du Royaume". Ce ne seraient alors pas les forains de l'Yonne qui auraient orienté les voituriers vers la forêt d'Othe, mais les fils Gorget, qui ont résidé la Chapelle Gauthier, domicilés à la Forestière. L'orthographe était encore, pour certains, bien incertaine: l'officier municipal avait écrit Fourtière sur la feuille et Fourtierre sur le talon du passeport de Philippe Badoulet. Quant à la connaissance des départements, elle restait pour certains encore bien floue. Forêt d'Othe ou Traconne, où se sont donc rendus les voituriers en 1816 et 1824 ?
"Thiérachiens, charretiers qui mènent à Provins le bois de la forêt de Chenoise dans de longues voitures traînées par de petits chevaux à demi sauvages, vivant dans la forêt et ne connaissant guère l'écurie." Bulletin de la Société d'archéologie, sciences, lettres et arts du département de Seine-et-Marne 1869
Félix Bourquelot, habitant Provins, avait centré sur la forêt de Jouy et le bourg de Chenoise sa définition de Thiérachien, qu'il assortit d'un peu de géographie et de latin. Chenoise pullule de gens de forêt: le resensement de 1836 note plus de cinquante bûcherons (alors que celui de la Chapelle Rablais les ignore, les regroupant avec les manouvriers), des "scieurs d'aix", scieurs de long dont certains viennent du Forez, des charbonniers, des fendeurs de lattes, des marchands de bois, dont Adrien Toussaint Félix 43 ans fils de l'ancien maire de la Chapelle Rablais, des sabotiers et, bien sûr, des voituriers: Alexandre Vallerand 34 ans, Théodore Chevance 70 ans, Pierre Cresson 36 ans, Jean Baptiste Jarry 25 ans, Jacques Pierre 39 ans, Antoine Delaître 39 ans, Jean Louis Domange 60 ans, Louis Domange 20 ans, Charles Domange 17 ans, Joseph Prignon 41 ans, Joseph Victor Louis 37 ans en 1836 et d'autres encore retrouvés dans l'état civil.
Plan d'Intendance de Chenoise, en haut à gauche, l'abbaye de Jouy, à droite, les hameaux des Bordes et de Combles où se regroupaient les voituriers

Etaient-ils "Tirachiens" ? Pour deux d'entre eux, au moins, leur origine nordique est certaine. Pierre Joseph Prignon voiturier par terre demeurant à Combles, hameau de Chenoise épousa en 1825 Julienne Constance Maurice, fille d'un voiturier de Mortcerf, autre nid de tirachiens. Le père, Nicolas Prignon était voiturier à Louvois, proche d'Ay dans la Marne, autre concentration de voituriers, comme nous le verrons à la page suivante et dans le chapitre consacré aux galvachers. La mère de Pierre Joseph Prignon était restée à Gérouville, canton de Virton, Grand Duché du Luxembourg où Pierre Joseph était né. Père et fils allaient voiturer au loin, tout en gardant des attaches avec le pays natal, ce cas de figure était fréquent.
Un autre migrant venait de Momignies même. Il fut enterré en septembre 1805 par le fossoyeur et un bûcheron "qui ont déclaré ne point connaître le défunt." Son employeur, Jacques Pierre, cultivateur, originaire de Chauvency le Château dans la Meuse, était décédé depuis six mois seulement. François Cuvillier travaillait chez "la veuve Jacques Pierre demeurante en la cy devant abbaye de Jouy, commune de Chenoise". Un petit Jacques Pierre de huit ans qui devait courir dans la vaste cour de la ferme de l'abbaye, ci dessous, deviendra plus tard voiturier par terre.

De vastes forêts subsistaient aux portes de Paris, qui existent encore. Malgré les énormes besoins en bois pour la capitale, pour le chauffage, la cuisine, les fours de boulangers..., elles furent préservées car réservées aux "Plaisirs du Roy", autrement dit aux chasses royales. De vastes espaces se trouvaient sous le régime des "Capitaineries" qui limitait les droits des particuliers pour la chasse, l'exploitation des bois et mêmes les pratiques de culture. Sans ces privilèges royaux, ces forêts auraient depuis longtemps disparu.

la Chapelle Rablais dans la Capitainerie de Fontainebleau