La vie retrouvée des voituriers tirachiens / 15
dans les forêts d'Ile de France / suite

J'avais lancé un appel sur les forums; une année plus tard, découverte d'un nouveau "nid" de voituriers grâce à un message me signalant la présence, dans le département de l'Aisne, d'un frère de Philippe Joseph Badoulet (voiturier déjà cité , ayant laissé de nombreuses traces à la Chapelle Rablais).

Pierre Joseph Badoulet, de trois ans l'aîné de Philippe, épouse le 9 nivôse de l'an IX (28 février 1801) Marie Catherine Dubreuil, veuve d'une cinquantaine d'années. Pierre n'a que trente trois ans. L'époux habite à Crépy en Laonnois, l'épouse à Fourdrain. C'est dans ce village de cinq centaines d' habitants qu'a lieu le mariage. Pierre Joseph Badoulet est voiturier, comme son frère; comme son beau frère, époux de Thérèse Badoulet: Martin Joseph Pourveur, qui décéda à la Chapelle Rablais, au domicile de Philippe; Thérèse étant restée à Momignies. Parmi les témoins du mariage de Pierre, les frères Philippot; Jean Pierre est lui aussi voiturier.
Fourdrain et Crépy en Laonnois sont deux bourgs à la lisière de la forêt de Saint Gobain, mais aussi sur la route joignant Amiens, Saint Quentin, Laon, Reims... Il est possible -mais peu probable- que Pierre Badoulet ait été voiturier sur route plutôt que débardeur de bois.

Traces de la famille Badoulet dans les archives
Sur la même bande forestière, on trouve deux autres voituriers que j'avais localisés, à tort, bien plus au nord. L'un, Jean Lefure, se disait de Croix en Picardie qu'une recherche rapide m'avait fait assimiler à Croix Fonsommes, Aisne, en Thiérache entre St Quentin, Cambrai et Avesnes; ou Croix sur Ourcq, Aisne, proche de Château Thierry, ou encore Croy de Rouvray près de Momignies. En fait, il s'agissait de Lacroix Saint Ouen, à la lisière de la forêt de Compiègne, ce que confirme la mention sur l'acte: "Croix en Picardie, près Compiègne".
Un autre, Firmin Laurent de Mousy, était déclaré né à Prémont. Il existe aussi un Prémont dans la Thiérache, ce qui me satisfaisait puisque la plupart des voituriers étaient dits "Thiérachiens". Mais la mention "Premont, département de Senlis" me fait préférer Apremont, proche de cette ville entre la forêt d'Halatte et celle de Chantilly.
Jean Lefure était "fardeur dans les ventes et coupes de bois"

Firmin Laurent de Mousy était voiturier par terre à la Chapelle Gauthier. On découvre son existence lors de son décès, le 29 vendémiaire an XIII (21 octobre 1804) dans ce village à la lisière de la forêt de Villefermoy. Il avait cinquante ans, était donc né à "Premont département de Senlis", marié à Denise Reine Massot de 41 ans qui résidait aussi à la Chapelle Gauthier.
Jean Lefure, garçon, est décédé à l'âge de 21 ans chez Bernard Lebon, voiturier par terre à Châtillon la Borde, âgé d'une soixantaine d'années: "né à la Croix en Picardie près Compiègne et demeurant pour l'instant dans cette municipalité, fardeur dans les ventes et coupes de bois" .

Près de la même forêt que Pierre Badoulet, dans le village de Fressancourt ont été découverts d'autres natifs de Momignies. Il n'est pas précisé s'ils sont voituriers, mais le curé desservant a aussi omis de noter leur âge ou date de naissance; il n'est pas le seul à avoir des absences: Jean Gautier, qui se marie, a tout oublié de son lieu d'origine et de celui de ses parents:

Cela semble fort loin des voituriers des forêts... Cependant, c'est dans le carnet du sieur Meneau que l'on trouve des comptes de marchand de bois dans la forêt de Montargis.. Douze pages sur les cent quarante deux du carnet aux pages jaunies sont consacrées aux sommes payées aux voituriers: "Le 21° avril 1768, marché fait avec Nicolas Delime, Arnoux de Lesse, Jean Hadoux, Jacques Couvreux et Jacques Resselle tous voituriers en chariot du pays de Luxembourg pour la voiturent des bois de charpente des ventes de la forêt de Montargis ... et bois de cordes de la vente du Carteux." AD77 1197 F 8

La forêt de Montargis, proche du Loing et du canal de Briare, a conservé la même forme qu'au XVIII° siècle.

Contrairement à ce que le mot "vente" laisse entendre, il ne s'agit que du roulage du bois depuis la forêt de Montargis jusqu'à la ville, à la rivière ou au canal. Si la rivière pouvait convoyer les trains de bois, on peut se demander comment les bois flottants pouvaient progresser sur le Canal de Briare, le courant y étant nul. Cependant, les équipes de Thiérachiens y jetaient des billes de bois, comme l'indique l'extrait du journal de Paul Simon Charles Meneau où Jacob Gofiné a été payé pour tirer du Canal des bois "canards" : "Le 13 aoust 1765: payé à Jacob Gofiné pour trois journées à sept chevaux à tirer les bois de charpente du Canal ne pouvant flotter la somme de 30 livres"

"Il se trouve assez souvent quelques-uns de ces bois si pesans, qu'ils tombent au fond de l'eau, & c'est ce que l’on appelle bois canards, ou fondriers. Il est permis en ce cas-là aux Marchands, pendant quarente jours après que le flot sera passé, de les faire pêcher, & si durant ces quarente jours d'autres Marchands jettent un autre flot, ce terme ne commencera de courir qu'après que le dernier flot sera passé; & ne pourront les Seigneurs des rivières & ruisseaux se faire payer d'aucunes choses, sous prétexte d'indemnité de la pêche, ou autrement. " Traité de la Police

En plus de Nicolas Delime, Arnoux de Lesse, Jean Hadoux, Jacques Couvreux et Jacques Resselle, on trouve aussi cités dans les comptes du chirurgien marchand de bois: Lallemand, Mathieu Salpetier, Hubert (Lambert?) Rogié ou Roger, Jean Denis, Jean Trodou, Gilles Loupe, Georges Pascal, le père, l'épouse et le fils de Nicolas de Lime, quatre Goffinet: Jean, Jacques, Jacob et Gilles, Jean Mathieu, Jean Penet, Saint Georges, Mimi et "le garçon à Mimy".

S'ils sont dits "voituriers en chariot du pays de Luxembourg", on les trouve aussi qualifiés de Thiérachiens: "donné le pourboire aux Thiérachiens" " état des comptes donné aux Thiérachiens depuis leur arrivée du 20 avril 1766"
Le Luxembourg, sous l'Ancien Régime était un duché qui faisait partie des Pays Bas, maintenant divisé en Grand Duché de Luxembourg, l'état, et la province belge de Luxembourg. Il est fort probable que "de Lime" pour Nicolas et "de Lesse" pour Arnoux aient désigné des lieux d'origine: il existe un hameau nommé Limes dans la commune de Meix devant Virton, et un autre nommé Lesse, sur la rivière du même nom, tous deux dans la province de Luxembourg.

Il ne semble pas qu'il y ait de liens entre les Tirachiens "luxembourgeois" de Montargis et les Tirachiens du Hainaut découverts en Brie.

Pierre Badoulet (forêt Saint Gobain) et son frère Philippe (forêt de Villefermoy), Firmin Laurent de Mousy (forêt d'Halatte) établi à la Chapelle Gauthier (forêt de Villefermoy), Jean Lefure (forêt de Compiègne) décédé chez Bernard Lebon (forêt de Villefermoy): les liens sont établis entre la forêt de Picardie et celle de Brie.
"Le mardi douze de février 1765 après que les fiançailles ont été célébrées et les trois bans publiés par trois dimanches au prône de la messe paroissiale tant dans cette église que celle de Momigny dans les Etats de la Reine ainsi qu'il me apparu par le certificat dudit Bertenchamps curé de ladite paroisse où M. Jean ? Gautier l'époux a ordinairement fait sa résidence depuis l'âge de neuf ans en me certifiant qu'il n'avoit ni ne pouvoit avoir nulle connaissance de son lieu natal ainsi que de ses parens, sans qu'il se soit d'ailleurs trouvé aucune opposition ni empêchement quelconque ont reçu la bénédiction nuptiale dans l'église de cette paroisse de moi prêtre curé D'Espourdon et desservant dudit Fressancourt depuis environ un an d'une part et Marie Thérèse Bonpart veuve de feu François Mansart originaire de cette paroisse d'autre part en présence de François Joseph Gion de la paroisse de Clair fontaine et Jean Baptiste Dupont de la paroisse de Momigny qui ont signé.."
Clairfontaine, en France, d'où est originaire François Joseph Gion est très proche de Momignies, aujourd'hui en Belgique, où sont nés l'époux, Jean Gautier et son autre témoin Jean Baptiste Dupont.
"Momigny dans les Etats de la Reine": nous sommes en 1765, sous l'Ancien Régime, Momignies n'est pas encore dans le département de Jemmapes, mais fait partie du Hainaut, dans les Pays Bas appartenant à l'Autriche, et la Reine est Marie Thérèse, gouvernant sur quatorze millions de sujets, et ses seize enfants, dont Marie Antoinette, future reine de France.
Le sieur Paul Simon Charles Meneau, maître en chirurgie de la ville de Montargis a noté scrupuleusement les remèdes qu'il prescrivait et les sommes dues par ses patients. Comment certains ont- ils pu survivre? Ainsi le sieur Guillemard de la Chaussée qui se vit infliger une douzaine de saignées à dix sous la saignée sans compter les potions vomitives, emplâtres vessicatoires et eaux de tamarins, à la fin du printemps, début de l'été 1761, le tout pour 25 livres et quinze sols ! Les comptes s'arrêtent au 7 octobre; on ne sait s'il en guérit, en mourut ou si c'est le chirurgien qui décéda.

Luxembourgeois, aussi, Guillaume Lacroix, entré en conflit en 1740 avec "les Prieur et Chanoines Réguliers de l'Abbaye Royale de Nôtre-Dame d'Hermières, Intimez, Appelans, Défendeurs & Demandeurs" à cause des divagations de ses chevaux, sans compter un grand feu qu'il fit en lisière de forêt:

"Mémoire signifié
POUR les Prieur et Chanoines Réguliers de l'Abbaye Royale de Nôtre- Dame d'Hermières, Intimez, Appelans, Défendeurs & Demandeurs
CONTRE Guillaume Lacroix, Voiturier du Pays de Luxembourg, Appelant, Intimé, Demandeur & Défendeur.

...Le 23 juillet dernier, les Intimez avertis que depuis quelques mois des Particuliers faisoient pâturer journellement plus de 60 chevaux dans les Bois de leur Abbaye, dont ils brouttoient les rejets, présentèrent leur requête, contenant plainte à Mr le Grand- Maître qui leur accorda le lendemain 24 juillet son Ordonnance, par laquelle il commit le Garde- Marteau de la Maîtrise de Crécy, pour dresser Procès verbal de l'abroutissement des rejets... et de saisir les bestiaux qui se trouvoient en contravention..." AD77 496 F1

On avait découvert, en 1752, dans les mêmes bois proches de Mortcerf, "Nicolas Denys Colinet, Marchand de Bois, pour la provision de Paris, Adjudicataire des Ventes ordinaires & extraordinaires de la Forêt de Crécy". Lui aussi est en conflit à propos de pâtures intempestives dans les Forêts du Roi & Bois appartenant aux Ecclésiastiques & Seigneurs: "ces Voituriers ont fait paccager leurs Chevaux & Bœufs dans les Pâtures, Chaumes, Prez fauchés, & Bruyeres, après la récolte des grains." Comme pour Guillaume Lacroix, Luxembourgeois des bois d'Hermières, les attelages ont été confisqués, puis promptement rendus, la voiture des bois pour Paris ne devant pas être interrompue.

"L'on a entrepris d'empêcher les Voituriers occupés au transport des Bois du Roi, qu'exploite le Suppliant en la Forêt de Crecy, de manière que ces Voituriers veulent abandonner l'ouvrage." Pareille contestation avait déjà eu lieu peu de temps auparavant: "En l'année dernière, quelques Particuliers des environs de la Ville de Château-Thierry, ayant voulu interrompre cet usage, le Bureau, toujours attentif à maintenir ce qui facilite & procure l'approvisionnement de la Ville de Paris, a rendu, sur les Conclusions du Procureur du Roy & de la Ville, le vingt deux Juillet mil sept cent cinquante-deux, Sentence, par laquelle en faisant main- levée de saisies que quelques Particuliers avoient fait faire des Harnois & Chevaux appartenant à des Voituriers, a ordonné que lesdits Voituriers continueroient de voiturer des Ventes au Port les Bois & Charbons qui y étoient destinés, & pareillement qu'ils continueroient de faire paccager leurs Chevaux & Bœufs dans les Pâtures, Chaumes, Prez fauchés & Terres, après la Récolte, conformément à l'ancien usage ; fait deffenses à tous Particuliers de troubler les Voituriers dans lesdits Paturages; & ausdits Voituriers de causer dommage dans les héritages en valeur. " (fin de cette phrase d'une dizaine de lignes !)
Code rural, ou Maximes et réglements concernant les biens de campagne ... De Antoine Gaspard Boucher d'Argis
Sentence, qui maintient les Voituriers dans l'usage du Paccage, du 23 Août 1753

Nicolas Denis Colinet était peut être lié au voiturier qui a laissé une descendance dans la région: Nicolas Joseph, cité plus haut et que nous retrouverons à la page consacrée aux mariages.

Tout ce qui bouge dans la forêt n'est pas Thiérachien, ainsi, au début du XVIII° siècle, on note une forte concentration de charbonniers faisant leurs meules dans les bois proches d'Ozoir la Ferrière d'où nombreux voituriers: Edme Bureau, François Dubreuil, Antoine Gillard, Antoine Le Borgne, Jacques L'Huillier, Pierre Vavin et bien d'autres. AD77 5 Mi 5275
De même à Chouy, près de la forêt de Villers Cotterêts où de nombreux voituriers transportaient la production de nombreux charbonniers: famille Boulanger: Louis, François, Martin, Pierre-François, Eloy... et Jean Briquet, Charles Vincent Benoît, Pierre Barque, Antoine Barra, Jean Gery, Martin et Louis Fillon... Mais aucun ne semble avoir de rapports avec les voituriers du Hainaut.

Géricault: le wagon de charbon

Ces petites informations grappillées de droite et de gauche révèlent ici, un voiturier, là une famille. En fait, le nombre de travailleurs migrants de la forêt devait être beaucoup plus important: pour figurer sur les actes d'état civil, il fallait qu'on meure ou qu'on se marie, ce qui n'arrive pas tous les jours, il faut bien l'avouer -les naissances avaient souvent lieu à Momignies où l'épouse belge continuait à résider, à moins que le voiturier ait choisi de se fixer loin du Hainaut et ait pris femme dans un village d'Ile de France.
Dans le conflit opposant l'abbaye d'Hermières à un voiturier luxembourgeois, l'identité de Guillaume Lacroix est révélée, cependant, il était loin d'être seul en cause: au moins une dizaine de palefreniers était nécessaire pour conduire les attelages puisque soixante chevaux ont été pris en contravention; on n'en connaîtra jamais les noms.

Les Luxembourgeois de Favières et de Montargis découverts aux Archives départementales, Denis Colinet trouvé dans un code de jurisprudence, les pistes vers les Tirachiens de Boursonne et de la forêt de Compiègne signalées par Internet, les voituriers de Brie retrouvés dans les registres d'Etat civil, les recensements, les minutes de notaires, les décisions de justice... les pistes semblent nombreuses, mais il faut surtout compter sur la chance pour découvrir les traces de voituriers qui ne savaient pas écrire et n'hésitaient pas à changer de région dès que le travail commençait à manquer.
Coup de chance: en cherchant pourquoi se trouvait une telle concentration de sabotiers venus de Charente dans le village de Favières ( voir le chapitre sur les cordonniers), j'ai feuilleté la monographie de l'instituteur de 1889 et le hasard m'a fait découvrir le crime de "chauffeurs" déjà cité où, parmi les six personnes égorgées, s'en trouvaient trois ayant un rapport avec les thèmes que je développe: un charretier originaire de la province de Luxembourg, un membre de la famille Nival sur laquelle je me suis penché et un cordonnier itinérant de la Meuse ayant eu le malheur de choisir ce soir là, cette ferme pour y faire étape...

Parmi toutes les cartes postales anciennes du village de Boursonne, proche Villers-Cotterêts, entre les vues du château ayant appartenu au maître des eaux et forêts du bailliage de Valois, de la chasse à courre et de l'église, il en est une qui montre l'entrée de la forêt de Retz. On s'attend presque à voir déboucher un ogre ou le Petit Chaperon Rouge tant le chemin semble étroit, la forêt touffue, avec un soupçon de chaumière cachée sous les arbres. Nul doute qu'il y avait là matière pour un voiturier en bois: tirer bûches et troncs de la clairière de Boursonne jusqu'à l'Ourcq coulant à la Ferté Milon.

A Boursonne, en 1779, se révèle un voiturier "demeurant dans celle-ci depuis environ quatorze ans pour y travailler au transport du bois de la forêt de Villers Cotterêts": Jacques Coupain, né à Momignies d'un père voiturier; il épouse Cécile Truffaut, native du village de Boursonne. Le père de Jacques Coupain, Jean, est le mari de Marguerite Baivier. La famille Baivier est liée aux familles de voituriers Nival, Mouart, Huaut, Simon... tous natifs de la région de Momignies. La famille Coupain est aussi liée à la famille Nival: Charles Joseph Nival, voiturier né à Momignies, épousa à l'âge de 29 ans, Angélique Petitjean (certains lisent Petitzeau à cause de la graphie particulière du clerc), 41 ans, en 1802 à Chambry, dans l'Aisne, près de la forêt Saint Germain où se révéla un nid de Tirachiens autour de Pierre Badoulet (voir plus haut). Angélique était fille de Simon Petitjean et de Marie Anne Coupain (en famille avec Jacques?). Elle était veuve de Ferdinand Loir dont on ne sait pas grand chose. Leur fils Augustin Narcisse Loir, né en 1791 à Chambry, dans un "nid" de voituriers de l'Aisne, termina sa vie à l'âge de 78 ans, au Gault Soigny, autre "nid" de voituriers de la Marne.

C'est un parcours semblable que suivit le petit fils de Jacques Coupain: Amand Joseph Leporcq (il s'agit bien du prénom Amand et non Armand: l'église de Momignies est sous la protection de ce saint, évêque de Maastricht, qui évangélisa le Belgique au VII° siècle.) Marie Cécile Coupain, née à Boursonne en 1779, épousa en 1820 à Momignies Albert Joseph Leporcq qui reconnut Amand Joseph, né en 1804 à Momignies. C'est aussi à Momignies que le petit fils de Jacques Coupain se maria; son épouse et son rejeton vécurent dans le Hainaut. Amand Joseph Leporcq, domestique voiturier, termina sa vie à Sézanne, dans la Marne, étant entré à l'hospice le 11 juillet 1847, il y trouva la mort le 18 du même mois à l'âge de 43 ans. Amand avait dû laisser femme et enfant au "pays": Momignies, le temps d'une saison de débardage dans la forêt de la Traconne où l'on trouve des traces de voituriers au Meix Saint Epoing, au Gault Soigny, à Thoult Trosnay, aux Essarts le Vicomte, à la Forestière...

l'église Saint Amand à Momignies

Ci dessous: l'hospice de Sézanne

Je renouvelle mon appel auprès des généalogistes et autres curieux pour me signaler leurs découvertes par exemple, si vous trouvez mention de: Luxembourg, Hainaut, Thiérache, Momignies, Chimay, Vervins... voiturier par terre, voiturier en charbon, fardeur, Tire à chien, flotteur morvandiau sur la Marne, galvacher en Brie et tout cow boy solitaire loin de son foyer... Merci d'avance.

"L'an cinq de la République française, un crime horrible fut commis à la ferme de la Hotte par les chauffeurs, bande de brigands composée de prisonniers libérés, de déserteurs et du rebut des armées républicaines." Les chauffeurs de pâturons, surnommés ainsi parce qu'ils brûlaient les pieds de leurs victimes pour leur faire révéler l'endroit où elles cachaient leur argent, sévissaient au temps de la Terreur et disparurent sous le Consulat. Une bande a attaqué la ferme isolée de la Hotte, commune de Favières, y a torturé puis égorgé "la citoyenne veuve Gilles Nicolas, âgée de soixante huit ans, fermière à ladite ferme, ayant les bras liés ainsi que les jambes, les yeux bandés, les pieds, les jambes et les cuisses brûlées au point que la peau des jambes en est ravalée", on trouva aussi assassinés le charretier, le vacher, la servante, un pensionnaire de soixante douze ans, et un cordonnier qui avait eu la malchance de choisir cette ferme- là, ce soir- là pour y coucher.

Le crime horrible de la bande de "chauffeurs"

"... Avons pareillement reconnu les nommés Pierre Joseph Legendre, neveu et charretier de ladite veuve, jeune garçon fort et vigoureux, âgé de trente ans environ, natif de Bellefontaine, sur lequel nous avons observé que les mains étant liées derrière le dos, étaient dépouillées des chairs à ces ligatures, jusqu'aux os ce qui annonçait qu'il avait probablement fait des efforts considérables pour aller au secours de sa tante..."
Monographie de l'instituteur 1889, Favières AD77 30Z167 et Etat civil AD77 5 Mi 5136, page 51/146

La ferme de la Hotte se trouve dans la même clairière que l'abbaye d'Hermières, paroisse de Favières, "une vraie solitude enfoncée dans la forêt de Crécy". Qu'on y trouve une cinquantaine d'années plus tard un natif du Luxembourg ( l'acte de décès de Pierre Joseph Legendre le précise), comme les voituriers en conflit avec les moines, ne relève certainement pas du hasard. Il faudrait remonter l'ascendance du charretier ou celle de son oncle (Pierre Legendre n'était que "beau neveu" de la fermière assassinée) pour savoir si une continuité peut être établie entre les voituriers de 1740 et le Luxembourgeois torturé de 1797.

... a été inhumé dans le cimetière de cette "paroisse le corps de François Louis Laurent décédé la veille muni des sacrements de l'église âgé d'environ vingt un ans garçon domestique chez Joseph Delestre son frère uterein natif de la paroisse de Gerouville province de Luxembourg..." De nombreux voituriers ont été découverts à Mortcerf. Pour certains, le lien est évident avec la "Thiérache", au sens large: tout ce qui venait du Nord et transportait du bois était réputé Thiérachien. Entre les forêts de Crécy et de Malvoisine, non loin de la Marne, les voituriers de Mortcerf ne manquaient ni de matière première ni de débouchés, d'autant plus qu'on y trouvait des fours à chaux qui nécessitaient des transporteurs pour les pierres brutes, le bois ou charbon de bois de chauffe et la chaux produite, sans oublier les bois destinés à Paris par la Marne.

Parmi les voituriers de Mortcerf, on rencontre des noms connus à Villefermoy: Antoine et Bernard Vuillemard (Wilmard,Vouillemard) "de la paroisse de Forges dépendant de Chime en hainault en Empire" dont on retrouve un fils/frère à Frévent ; Jean Antoine Docquière de Momignies dont le frère laissera de nombreuses traces à la Chapelle Rablais, lui même ayant fréquenté la Chapelle Gauthier: ".... fut présent Jean Antoine Docquière voiturier demeurant ci devant en la parroisse de Momignies et actuellement à Morcerf district de Rozoy, étant à ce jour à ladite Chapelle Gauthier. Lequel a par ces présentes reconnû devoir bien et légitimement à Sieur Charles Nivalle marchand et voiturier demeurant ordinairement audit Momignies terre de Henot étant ce jour à laditte Chapelle, la somme de quatre vingt seize livres, pour la vente et prix d'une jument sous poil noir hors d'âge que ledit sieur Nivalle a ce jourd'hui vendu audit Docquière... laquelle somme... ledit Docquière s'oblige de payer audit sieur Nivalle, en son domicile audit Momignies ou au porteur des présentes, savoir quarante trois livres dans le courant du mois de septembre prochain de la présente année, et pareille somme le premier aoust de l'année prochaine.."
minutes du notaire Baticle la Chapelle Gauthier AD 77 273 E 23 24 juin 1791

Curieusement, nombre d'actes entre Tirachiens travaillant à Mortcerf ont été passés devant le notaire Baticle de la Chapelle Gauthier, voisin de l'auberge du Cygne où résidaient des voituriers:
... fut présent Nicolas Colinet voiturier par terre natif de la paroisse d'Aînor (Anor) province d'Henault, se retirant pour le présent à la Chapelle Gauthier, chez le sieur Devin aubergiste, lequel a par ces présentes reconnu avoir reçû de Jean Baptiste Michel Jouarre aussi voiturier demeurant à Morcerf la somme de quatre vingt quatre livres qui lui étoit duë par ledit Jouarre, suivant obligation que ce dernier avoit faite au profit dudit Colinet devant maître Berthault notaire à Saint Germain sur Crouiy près Meaux (Claude Berthault 1763/1814 à Couilly) il y a environ dix huit mois... minutes du notaire Baticle, la Chapelle Gauthier AD77 273 E 23 29 juin 1791

... fut présent Jean Louis Collignon voiturier par terre demeurant à Morcerf lequel à par ces présentes reconnu devoir bien et légitimement à Joseph Pescheux aussi voiturier par terre demeurant ordinairement à Montmigny Province Henault étant présent à ladite Chapelle ... la somme de cent quatre vingt livres que ledit Collignon lui doit pour la vente d'un cheval ongre sous poil rouge brun or d'âge faite par ledit Pecheux audit Collignon ... laquelle somme il promet et s'oblige de payer audit Pescheux aud. par lui élu chez le sieur Devin le jeune aubergiste à ladite Chapelle ou au porteur le jour de la saint Martin d'hiver onze novembre de la présente année..
Minutes du notaire Baticle la Chapelle Gauthier AD77 273 E 23 21 septembre 1778

Les liens unissant la forêt de Crécy et celle de Villefermoy pourraient s'expliquer par le siège d'un prieuré, à Châtillon la Borde (proche Villefermoy) appartenant à l'abbaye des Prémontés d'Hermières (proche Mortcerf) qui employait des Thiérachiens, comme on l'a vu plus haut; certains laissant joyeusement leurs chevaux "abroutir les rejets" dans la forêt des moines... Des liens s'établirent aussi avec Chenoise (familles Maurice et Delettre...)

Un Tirachien faisait quelquefois l'intermédiaire entre Momignies, Villefermoy et les autres massifs forestiers, tel Joseph Germain, entre Philippe Benson, Pierre Houdion et Jean Baptiste Delchambre (que l'on retrouve tous dans la base de données sur les voituriers thiérachiens en Brie. )
"Fut présent S. Joseph Germain voiturier par terre demeurant à la Chapelle Gauthier, chez le S. Devin le jeune aubergiste demeurant audit lieu Lequel à par ces présentes cédé transporté & abandonné de cejourd'hui, avec promesse d'en faire jouir & garantir de tout empêchement généralement quelconque à Jean Baptiste Delchande aussi voiturier demeurant ordinairement à Montmigni pays Henault et étant ce jour à ladite Chapelle Gauthier à présent acquéreur ce acceptant. L'effet et droit d'un billet de la somme de cinquante une livres qui reste à payer sur plus grande somme dont va être parlé, qui lui à été cédé par Pierre Houdion voiturier demeurant à Dammartin sous Tigault en datte du premier aoust mil sept cent quatre vingt dix... un autre billet de cent cinquante livres fait par Philippe Benson au profit dudit Houdon, en datte du douze novembre mil sept cent soixante dix sept....
Jai souscigné reconnoit aitre redevable de la some de saintquante et une livre dont je promet pejer a pierre audions residant a dont martiens sur tigaut a la saint jans baties de lannait de 1778 fait a maux le 12 nauvembre 1777 Philippe Benson
Je donne moi pierre houdion plin pouvoir a Josephe Germain thirachien de recevoir la somme de cinquante et une livre dû par philipe Benson portée par ledit billet fait le premier aous mil sept cent quatre vingt dix."
6 décembre 1791 minutes du notaire Baticle la Chapelle Gauthier AD77 273 E 23 n°114


Un petit problème se pose. Paul Simon Charles Meneau, dont des pages du carnet renferment les comptes de sommes payées aux Thiérachiens depuis 1765 jusqu'en 1768 est décédé avant 1767, sa veuve Marie Anne Blesson épousant le 4 août 1767 Augustin Picard, marchand épicier, en l'église Sainte Madeleine de Montargis.

On imagine difficilement qu'un fantôme puisse gérer efficacement une entreprise de débardage, une autre hypothèse doit donc être envisagée. Tout d'abord, les comptes ne suivent pas un ordre logique: l'année 1765 commence à la page 133 alors qu'on trouve les comptes de 1766 à partir de la page 129. Ensuite, en regardant de plus près, ce que je n'avais pas fait dans un premier temps, on constate aisément que plusieurs écritures figurent dans ce carnet: une écriture ronde concernant les actes médicaux, une autre plus pointue, aux barres de T couvrant le mot entier qui correspond aux comptes du marchand de bois, sans compter une écriture plus maladroite qui doit être celle du garde-vente, le contremaître du marchand de bois. Les pages vierges du carnet du chirurgien ont été utilisées après sa mort pour tenir les comptes des "voituriers en chariot du pays de Luxembourg".
"M. Blesson a donné à Pascal un louis et moy huit boiseau davoine à seize sout le boiseau" note le garde-vente. Qui pourrait pousser la générosité jusqu'à donner un louis, d'une valeur de trente livres à un voiturier, sinon le marchand de bois qui l'emploie ?
Grâce à un correspondant, on sait maintenant qu'il s'agit du beau-père du chirugien, marchand de bois à Montargis, Antoine Blesson, fils d'un autre Anthoine Blesson, lui même marchand de bois à Villers- Cotterêts.

mise à jour: février 2016