Les scieurs de long/17
Mariages, première génération
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Plan du chapitre sur les scieurs de long et terrassiers | |
Documents sur les scieurs de long et terrassiers | |
Sources et bibliographie | |
En éliminant les saisonniers qui choisirent de retourner au pays, ceux qui moururent au village (comptaient-ils rester, se marier?), et les scieurs ou terrassiers sur lesquels nous n'avons pas assez de renseignements, restent cent seize hommes issus de l'immigration du Forez et du Velay (73 de la première génération, nés hors la Brie, et 43 de la seconde génération, nés en Brie d'un père migrant). Mettons à part trois jeunes hommes qui décédèrent avant trente ans, cent huit migrants du Massif central se marièrent, et tous avec une briarde.
"Les gens mariés forment
la classe des citoyens la plus utile, & parce qu'ils servent à
la reproduction, & parce que les enfans sont des ôtages qu'ils donnent
à la patrie..."
Les motivations des futurs époux étaient certainement moins
élevées que ces citations de Moheau qui, plus loin tempêtait,
contre les procédés contraceptifs : "ces
funestes secrets inconnus à tout animal autre que l'homme, ces secrets
ont pénétré dans les campagnes; on trompe la nature jusques
dans les villages". Jean Baptiste Moheau
: Recherches et considérations sur la population de la France 1778
"Le joug du mariage" était le cadre habituel
pour concevoir des enfants, si possible beaucoup d'enfants pour que certains
aient la chance de survivre. Un sur quatre mourait la première année,
environ un autre quart n'atteignait pas cinq ans. Outre la peine de perdre
un enfant, "neuf enfants sur vingt sont enlevés avant d'avoir
pu se rendre utiles".
Recherches sur la reproduction et la mortalité
de l’homme aux différens âges et sur la population de
la Belgique Quetelet et Smits Bruxelles 1832
Car il faut bien avouer que les parents comptaient sur leurs descendants pour rapporter aide ou argent dès qu'ils avaient atteint l'âge de travailler; très peu car si le salaire des femmes et des adolescents était généralement inférieur de moitié à celui des hommes, celui des enfants inférieur de moitié à celui des femmes
Les parents comptaient aussi sur leurs enfants pour leur vieux jours. Devenu incapable de travailler, le manouvrier, comme le scieur, s'il n'avait pas de famille pour le recueillir risquait fort de terminer sa vie à l'hospice de Provins ou, s'il était devenu mendiant, à celui de Clermont. Un "Etat, renseignements sur les redevables du trésor" à la Chapelle Rablais en 1859 recense les noms de plus de quarante indigents ayant été incapables de payer leurs amendes. Pour un seul, il est mentionné des enfants solvables "à la charge de ses enfants habitant Melun"; les autres étaient soit chargés de famille, soit orphelins de grands enfants.
En 1837, Jean Momet soixante quatre ans et Léonarde Cadillon, soixante
trois ans, firent donation de tous leurs maigres biens à leur unique
fille survivante, Antoinette à la condition qu'elle prenne soin d'eux.
Jean Momet, maçon de la Creuse, était venu travailler à
la Chapelle Rablais avant de retourner au pays. Son destin est proche de
celui des scieurs.
"... lesquels ont dit que leur âge ne
leur permettant plus de continuer l'exploitation de leurs propriétés,
ils ont pris le parti de faire l'abandon et donation irrévocable
de tous leurs biens en faveur de Antoinette Maumé leur fille unique
épouse de Martial Halary avec lesquels ils habitent audit lieu d'Azat...
Demeurent tenus Martial Halary et Antoinette Maumé son épouse,
de loger, nourrir et entretenir les donateurs pendant leur vie à
leur même pot et feu tant en santé que maladie et à
la charge pour eux de payer leurs dettes."
AD 23 6E 4508 minutes du notaire Guillaume
Bouttelas Bénévent l'Abbaye
Quatre pages sur Jean & Barthélémy Momet, maçons de la Creuse à la Chapelle Rablais
La noce allait-elle donner lieu à
des festivités, des banquets, réunissant d'un côté
la famille de l'épousée, de l'autre quelques amis et souvent
confrères du nouveau mari. Rien ne l'indique dans les actes où
le nombre de témoins est le même que pour les noces paysannes,
le plus souvent deux de chaque côté. Les amis de l'époux
auraient-ils été en grand nombre qu'ils auraient été
bien en peine de signaler leur présence, ne sachant signer, au contraire
de mariages de notables où chacun tenait à signaler sa présence.
Par contre, il n'était pas rare que plusieurs noms soient cités
à l'occasion du décès d'un migrant loin de chez lui.
On se mariait surtout en janvier, février, novembre, mais aussi les
autres mois sauf août, temps des moissons où toutes les énergies
étaient réquistionnées, et décembre, "temps
clos" de l'avent où les festivités étaient interdites
par l'Eglise. Le "temps clos" du carême, avant Pâques
était beaucoup moins suivi. A noter que dans l'intimité des
foyers, l'abstinence pendant les périodes de temps clos n'était
pas respectée, la répartition annuelle des naissances le prouve.
Pour les mariages, autant que possible, on évitait aussi mai, mois
des unions malheureuses. Les jours de mariage interdits étaient le
dimanche, consacré au seigneur et le vendredi, jour de la mort de son
fils. Le samedi était loin d'être le jour favori; les mariages
avaient le plus souvent lieu de lundi et surtout le mardi.
Jours et les mois de mariage des scieurs de long et terrassiers du Forez en Brie
Quelquefois fiançailles et contrat de mariage notarié avaient lieu la veille du jour du mariage, tout comme pour les paysans locaux. Le mariage dans la paroisse de l'épousée qui était de règle pour les autochtones, l'était d'autant plus pour les migrants, loin de leur village d'origine; (à noter, une courte période où les mariages devaient avoir lieu au chef-lieu de canton, Nangis pour la Chapelle Rablais, du 1° vendémiaire an VII au 7 thermidor an VIII, 22 septembre 1798 et 26 juillet 1800).
Les femmes qui travaillaient étaient rares, entendons par là celles qui déclaraient un métier, lors des recensements, ne se contentant pas d'être "sa femme" suivant le nom du "chef de famillle", sachant très bien que les épouses participaient aux tâches agricoles en plus des ménagères.
La population du village avoisinait les cinq cents âmes, dont cent soixante douze actifs. Contre cent quarante six hommes, seules vingt six femmes déclaraient un travail. Des domestiques, tant dans les fermes qu'au château, des couturières, une blanchisseuse, une aubergiste, deux foraines marchandes de bagues de Saint Hubert et une journalière. Sachant que les domestiques de ferme et les couturières étaient souvent des jeunes filles qui changeraient de statut dès leur mariage, il restait moins d'une dizaine de femmes tirant des revenus d'un métier. Et leur salaire était moindre que celui des hommes.
Arthur Young,
agronome anglais à Nangis en juillet 1789 donne une idée des
salaires, différents suivant la saison et le sexe : "Hommes,
en été, 24 sous, en hiver, de 15 à 18 sous. Hommes, pendant
la moisson, 30 sous; femmes en été 15 sous... "
Arthur Young Voyages en France
Moitié moins pour les femmes, en Brie comme
ailleurs.
Métiers à la Chapelle Rablais en 1836
Métiers par villages et hameaux
Une femme seule aurait eu beaucoup de peine à subvenir à ses besoins; une veuve avec enfants, plus de mal encore. A moins de vivre comme ce voiturier thiérachien qui, malgré de solides économies, se contentait d'une paillasse et d'un mobilier tellement rustique qu'il ne comportait même pas de table, un homme célibataire pouvait difficilement assurer le soin d'une maison, en plus de ses interminables heures de travail. Même en l'absence de sentiments, le mariage était une solution pratique. Et l'on souhaite fort qu'il n'ait pas été que cela et que l'amour ait aussi été de la partie. Mais les archives sont muettes à ce sujet...
Ce qui précède concerne tout autant les épousailles des paysans de Brie que celles des migrants. Quels étaient les traits particuliers à ces derniers?
Les célibataires avaient été encouragés à
revenir au pays pour y fonder un foyer : "Malgré
la surmortalité féminine liée aux suites de couches,
en raison même du déséquilibre entre les sexes engendré
par le phénomène migratoire, l'espoir de se caser convenablement
était des plus minces pour un bon nombre de filles. C'est ce qui
explique les pressions exercées par les communautés villageoises
pour que les migrants reviennent prendre femme au pays." Mais
nombre d'entre eux préférèrent rester en Ile de France,
célibataires puis mariés ...
Agnès Thépot : Chaudronniers auvergnats
à Rennes au XVIII° siècle
Maçons de la Creuse, débardeurs en bois thiérachiens, scieurs de long et terrassiers du Forez qui se sont fixés à la Chapelle Rablais, ont en commun d'avoir toujours épousé une Briarde. Aucun n'a migré avec son épouse, si l'on met à part un maçon creusois, époux puis séparé de corps de l'aubergiste du village, qui, sur le tard, a fait venir une veuve, connaissance de jeunesse...
Antoine Delisle, maçon de la Creuse...
Si le mariage était l'union de deux individus, c'était aussi le rapprochement de deux familles. Et, dans le cas des scieurs, il en manquait une; celle de l'époux était restée dans les mont du Forez, et à l'époque, pas question de traverser la moitié de la France pour assister à une cérémonie. Le fiancé devait se débrouiller seul.
La douce amie conquise, restait à approcher
les parents, ce qui, dans la tradition se faisait de manière plus
ou moins codée; il n'était pas question d'aller directement
chez eux pour demander la main de leur fille. Une entremetteuse ou un émissaire
(en Brie, surnommé le mâche-avoine) pouvait être délégué
chez les parents pour tâter le terrain, puis le père du jeune
homme rendait visite au père de la jeune fille. Là encore,
la question de l'union n'était pas posée directement et l'assentiment
ou le refus ne se traduisaient pas par des mots, mais par des gestes. "La
prudence paysanne empêche en cas de refus de s'exprimer ouvertement,
par crainte de froissements personnels et d'inimitiés durables. Il
s'est ainsi formé dans toutes les provinces un langage particulier
de gestes, de symboles, d'allégories..." Ce pouvait être
un verre d'eau ou de vin, une omelette ou de la viande, les bûches
perpendiculaires ou parallèles au foyer, un verre, une poêle
retournée.. Pas besoin de mots, le refus était compris sans
que la question ait été posée.
Mâche-avoine : Christian de Bartillat,
Au village de Brie / Traditions : Arnold Van Gennep Le folklore français
T1
Les scieurs ne devaient pas voir trop de mal à
trouver une douce amie étant forts, travailleurs, entreprenants (ceux
qui ne l'étaient pas étaient restés au pays). A quoi
ressemblaient-ils? Pour certains, on a la chance d'avoir une idée
de leur physionomie, non par une photo qui n'existait pas encore, ni un
portrait dessiné, mais grâce à une description qui figurait
sur les Passeports pour l'Intérieur dont certains ont été
conservés. S'ils avaient plutôt le teint coloré, ce
qui semble normal, travaillant tout le jour à l'extérieur,
il étaient bien différents; je ne résiste pas au plaisir
de recopier le signalement de Nicolas Laflûte, saisonnier, dont on
ne sait s'il aurait trouvé une compagne : taille 5 pieds 1 pouce,
cheveux chatins, front couvert petit, sourcils chatains, nez long grôt
pati, bouche grande, barbe naissante, visage ovalle, teint colloré,
une coupure au genou gauche, ne signe.
Schrek, sors de ce corps !
Les scieurs, déjà munis d'un acte de baptême, sous l'ancien régime, ou d'un extrait d'acte de naissance, plus tard, sollicitaient l'accord de leurs parents, soit par l'entremise d'un tuteur, soit sous forme d'acte notarié, dont les détails sont précisés dans l'acte de mariage. Aucun scieur ne semble avoir eu besoin de "requérir le consentement de leurs pères et mères par trois sommations respectueuses" présentées par un notaire au domicile desdits parents, comme l'indique cet extrait du "Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale" de 1761.. Par contre, le fils d'un marchand de bois en forêt de Villefermoy, dut sommer par trois fois son père qui ne voulait consentir à son mariage :
Sommation respectueuse de Pierre François Labarre à son père.
Dans son "Dictionnaire du droit canonique...", Durand de Maillane précise que les bans devaient être publiés trois dimanches successifs dans les deux paroisses (ou une seule publication, par dérogation spéciale) et que le curé officiant devait en recevoir certificat, ce qu'il notait dans l'acte. Ce qui se passait sans problème quand les lieux de résidence étaient tous deux en Brie. Mais ce n'était pas le cas quand le domicile de droit de l'époux était encore en Forez ou en Velay. Ce n'était pas très fréquent, seulement cinq mariages sur une centaine. Les migrants ont bien présenté un acte de consentement (ou de décès des parents), pour montrer que ceux-ci n'étaient pas dans l'ignorance de leur union, mais rien ne prouvait que les autres paroissiens avaient été mis au courant. Comme on pouvait imaginer que certains Auvergnats avaient migré pour échapper à la conscription, on pourrait aussi penser qu'ils auraient pu abandonner une famille au pays pour en créer une nouvelle quelques centaines de kilomètres plus loin. C'était peu probable, car les migrants étaient sous le regard de leur compagnons...
Mentions sur les actes de mariage des scieurs de la première génération en Brie
Les preuves d'identité pouvaient être assez vagues, comme
pour le mariage de Claude Boisset, scieur de long de Luré qui travaillera
à l'abbaye de Jouy à Chenoise, ce qui lui valut d'être
enterré, plus tard, dans "dans notre
cimetière destiné à la sépulture des séculiers".
Quand il se maria, en 1717, il n'était en possession que d'un acte
de baptême datant déjà de deux ans; le même acte
qui servit encore vingt ans plus tard, pour son inhumation. Seul le témoignage
de quatre compagnons servit de preuve de son célibat :
"en conséquence d'un acte passé par devant Mre Jacques
René Gaultier, notaire royal dans ce lieu par lequel il paroit par
le témoignage qu'en ont rendu les nommés Claude Belet, Pierre
Herbin, Pierre Roussel, et Claude Tissier du pays dudit Leuré en
Forest que les susdits Mathieu Boisset et Martine Ravé père
et mère dudit Claude Boisset sont décédés et
que ledit Boisset n'est point marié, lequel acte a paru suffisant
à Messieurs nos Vicaires généraux pour le présent
mariage."
Mariage : registre paroissial Beton Bazoches
AD 77 1 Mi 339 /décès Sépultures abbaye de Jouy AD77
5MI8814 1688-1787
Un séjour prolongé impliquant l'alternance
des travaux des champs avec ceux de la scie préludera à l'intégration
par le mariage." Jacques Garbit
Un long temps d'adaptation pour les scieurs, d'observation pour les paysans
était nécessaire avant l'union par le mariage des membres
des deux communautés. Mettons à part les quelques naissances
hors mariage, dont les enfants "illégitimes" étaient
souvent reconnus lors du mariage (treize enfants hors-mariage ou très
proches de la cérémonie). L'âge légal du mariage
pouvait être particulièrement bas, l'en-tête d'un registre
d'état civil de la Chapelle Rablais, sous la Révolution, note
: "Observer que les garçons ne peuvent
se marier avant d'avoir atteint l'âge de quinze ans et les filles
celui de treize ans", l'âge moyen des unions était
beaucoup plus élevé : très rares sont ceux qui se mariaient
avant vingt ans, la moyenne se situait vers 26 ou 28 ans. Sans que cela
soit clairement formulé, l'âge très avancé des
époux présentait, pour la société de cette époque,
deux avantages: le mari était en âge de prendre la succession
de son père vieillissant et le couple reculait l'arrivée du
premier nourrisson. Dès le mariage, la machine à poupons était
lancée jusqu'à la ménopause; en retarder le départ
était un moyen contraceptif. A la Chapelle Rablais, l'âge moyen
pour les hommes au premier mariage était vingt six ans, quarante
deux ans pour le remariage de veufs. Il en est autrement pour les scieurs
et terrassiers migrants, comme on peut le constater en passant la souris
sur le graphique : en rouge, les locaux, en bleu, les migrants de première
génération. (Pour permettre un comparaison, les mariages de
locaux étant bien sûr plus nombreux que ceux des migrants,
les nombres ont été convertis en pourcentages.)
Dans une étude concernant les scieurs "Lionais du Perche", Jacques Garbit avait relevé un âge moyen au mariage de 27 ans, à Apinac, au pays, presque semblable aux locaux : 27,7 ans. Mariés dans le Perche, l'âge moyen montait à 31 ans pour les scieurs, le plus jeune se mariant à 21 ans, le plus âgé à 38 ans.
"Aujourd'hui, on peut épouser une frêle jeune fille; on ne lui demande plus de faire quinze enfants et d'aller ramasser les choux." Marine Segalen Amours et mariages de l'ancienne France
Les archives sont muettes sur la description des futures épouses des scieurs. Dans les meilleurs cas, on peut connaître leur âge, leur situation maritale, avoir une petite notion de la richesse ou de la pauvreté de la famille...
N'étant pas bien riches, il aurait
été étonnant que les migrants aient été
acceptés dans les familles aisées, qui avaient certainement
des stratégies martitales pour accroître leur aisance. Un scieur
de long au maigre pécule n'entrait pas dans leurs vues. Aucun scieur
n'épousa une fille de laboureur ou de fermier, à la tête
d'une exploitation qu'il possédait d'ailleurs rarement. Les pères
étaient souvent manouvriers ou vignerons (que l'on trouvait partout
pourvu qu'il y ait un petit coteau pour la vigne, ce qui n'était pas
le cas à la Chapelle Rablais où il s'en trouva pourtant un).
Avec les bergers, terrassiers, scieurs, bûcherons, sabotiers, charretiers,
compagnons meuniers, jusqu'à un colporteur de parapluies... ils regroupent
plus de 85% des métiers des pères. On trouve aussi des artisans:
compagnon charpentier, tonnelier, bourrelier, cordonnier, boucher, des meuniers
et un instituteur qui, sous l'ancien régime, devait cumuler plusieurs
fonctions pour pouvoir survivre...
Certaines données manquent, parce que le curé ou le clerc n'avait
pas noté la profession des parents, ou parce qu'ils étaient
décédés, ou parce que l'épouse était veuve...
Les contrats de mariage peuvent donner une idée des finances du futur couple. Ils étaient fréquents, même dans le cas de budgets modestes. Environ six migrants sur dix sont passés chez le notaire avant les noces. L'époux comme l'épouse contribuaient aux finances du ménage, le mari apportant un peu plus que la femme. A la Chapelle Rablais, pour la période 1789/1811, l'apport moyen d'un ménage lors du mariage était d'un peu moins de 1.000 francs. Deux tiers des ménages étaient en dessous de cette somme. Quant aux scieurs de long, leurs contrats de mariage montrent qu'ils ne roulaient pas sur l'or, ce dont on se serait douté : si Jean Rozier put apporter une somme de 500 francs, comme son épouse, c'est qu'il était déja âgé de soixante deux ans, veuf une première fois; de même pour la veuve du scieur Barthélémy Monteillard à son remariage, qui mit 989 francs dans la cassette commune. Les autres scieurs eurent des apports beaucoup plus modestes : le couple Porte/Pacon commença avec seulement 371 francs à eux deux. Edmé Tissot se maria trois fois en Brie; il épousa Maire Adélaïde Lepanneau, fille d'un berger dotée de 250 francs. Le scieur disposait de 536 francs. Marie Adélaïde étant décédée des suites d'un accouchement après seulement sept mois de mariage, Edmé Tissot épousa sa soeur, Catherine, deux mois seulement après l'inhumation. Il apportait 250 francs et le berger dota sa seconde fille de 425 francs. Marie Anne Catherine Panneau décéda en 1802, Edmé se maria à nouveau, apportant 536 francs plus 100 francs de douaire, l'épousée était dotée de 250 francs.
Le contrat de mariage Tissot / Voulminot
précisait qu'en cas de veuvage, le survivant devait avoir droit à
"linge, lit garni, commode ou armoire vuide...
si c'est la future bagues, joyaux, gobelet d'argent s'il y en a ... si c'est
le futur, sa tasse, boucle et montre d'argent... Conviennent les futurs que
les deux enfans du second lit du futur, et celui de la future, seront nourris,
logés, couchés, chauffés, blanchis, éclairés
et entretenus tant en santé que maladie, aux frais de la future communauté
jusqu'à l'âge de quatorze ans... Les frais de nourriture et entretien
évalués la somme de cent francs par an."
5 vendémiaire an XI, minutes du notaire Baticle AD 77 273 E 28
(En me relisant, je me rends compte que j'ai déjà cité
cet acte ! Il faut dire que la rédaction de cette enquête s'est
étalée sur plus de trois ans. Mon dernier petit neurone avait
oublié ! )
Doc: mariages à la Chapelle Rablais 1789/1811, actes, contrats...
"Jeunes orphelines, femmes
«laissées pour compte», jeunes filles dépourvues
de dot, tel était souvent le lot des nouveaux venus."
Agnès Thépot : Chaudronniers auvergnats
à Rennes...
Il est vrai que le migrant n'était
pas en meilleure position pour choisir les plus beaux partis de la paroisse
: les parents qui ne connaissaient pas sa famille, son passé, les
célibataires locaux qui redoutaient la concurrence, sa pauvreté...
Cependant il serait caricatural de penser que, comme les chaudronniers à
Rennes, les scieurs en Brie devaient se contenter de "laissées
pour compte". Edmé Tissot, qui
s'est marié trois fois, le fit à chaque fois avec des jeunes
filles, pas bien riches, il faut l'avouer, mais dans la moyenne des filles
de manouvriers ou de berger.
L'âge des épouses des scieurs était, pour la moitié,
conforme aux normes de l'époque (en rose sur le graphique); un peu
plus du tiers des épouses avait dépassé l'âge
où l'on fête les Catherinettes, que l'on pourrait qualifier
de vieilles filles (en bleu) et seulement 13% étaient veuves, aux
premières noces d'un scieur (en gris).
Concernant les différences d'âge au mariage,
toutes les situations sont représentées : jeune avec jeune,
vieux avec vieille, épouse ou mari beaucoup plus âgés...
plus quelques épousailles baroques. Et l'on trouve beaucoup plus d'épouses
veuves au premier mariage d'un scieur que d'époux: huit femmes et seulement
deux hommes, veufs au pays.
Le graphique ci-contre montre les différences d'âges entre époux,
en commençant, à gauche, par les femmes, la plus âgée
ayant 22 ans de différence avec son jeune époux. Dans les mariages
classiques, l'homme est souvent un peu plus âgé que la femme,
ce qui était aussi le cas, pour les migrants.
Pour éviter de surcharger cette page de graphiques et de tableau, on pourra consulter...