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La Chapelle Rablais
Homme vivant et mourant 2

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Chaque année, les fermiers mais aussi le curé, l'église payaient les cens sur leurs terres relevant des seigneurs : "La maison clos jardin etc telle qu’elle existe en la présente année 1751 doit de cens à Mr de Nangis annuellement le jour de la Saint André la Somme de 3 livres 10 sols.. payer la somme de quinze sols à Monsieur de Guerchi Seigneur de Nangis et celle de vingt deux sols à Monsieur le Comte de la Chapelle Gauthier" Voir page précédente

Pas de problème pour percevoir aussi des droits de succession auprès des particuliers. Mais comment faire payer ceux qui ne mouraient jamais, les "gens de mainmorte" (personnes morales, églises, hôpitaux, communautés diverses... donc, par nature, non-mortels. Aussi les biens qu'ils possèdent (par achat, legs, donation) ne sont plus soumis au paiement des droits de succession. Les bénéficiaires de ces droits (seigneur, roi) ont donc un manque à gagner.) Wikipédia

"Les biens de mainmorte étaient les biens possédés par des congrégations ou des hôpitaux : leur possesseur ayant une existence indéfinie, ils échappent aux règles des mutations par décès. En compensation, ils doivent régler les droits d'amortissement pour le roi, l'indemnité seigneuriale, le droit d'homme vivant et mourant, le droit de nouvel acquêt." idem
Loin de comprendre toutes les finesses de la fiscalité d'ancien régime, je me contenterai de suivre le fil de l'homme vivant et mourant, délaissant fief amorti, franche aumône, droit d'acquêt, etc.

Les deux sens du terme "mainmorte"

La Fabrique de l'église étant immortelle, on désignait un mortel pour la représenter, un homme vivant, mourant et confisquant : "c'est une personne regardée comme propriétaire de l'immeuble et qui devait toutes les redevances personnelles et tous les services; sa félonie pouvait amener la confiscation; sa mort entraînait le paiement de casuels, la foi et l'hommage. Avec sanctions en cas de défaut..."
Dictionnaire de l'ancien régime, PUF, article domaine direct, censives et fiefs

Le procédé était déjà fort ancien, sous une autre forme, on le retrouve dans la Bible, ce bouc-émissaire chargé de toutes les malédictions que l’on voulait détourner de la communauté : "... le bouc sur lequel est tombé le sort pour Azazel sera placé vivant devant l’Éternel, afin qu’il serve à faire l’expiation et qu’il soit lâché dans le désert pour Azazel." Lévitique

Le bouc était destiné à périr; au contraire, l'on souhaitait fort que l'homme vivant et mourant vive le plus longtemps possible, reculant la prochaine échéance. Et pour ce faire, autant le choisir jeune; à Nangis "... par acte de Gilbert, notaire à Nangis, du 11 juillet 1745, la fabrique offre au seigneur, pour 14 arpents de terre à la Psauve, relevant du Châtel, comme homme vivant et mourant, Fiacre-Guillaume Gilbert, âgé de douze ans, fils de Gilbert, chirurgien. Dans un autre acte, l'homme offert était un fils Guillochin."
Ernest Chauvet Nangis recherches historiques

 

Au prix de quelques arrangements que nous découvrirons plus loin, la Fabrique de la Chapelle Rablais réussit à ne présenter que trois hommes vivants et mourants en un siècle : Pierre Millet en 1683, Joseph Mizel en 1748 et François Bony en 1786.

 

 

A la Chapelle Rablais, l'homme vivant et mourant était choisi jeune : Pierre Millet avait vingt ans, François Bony vingt deux et Joseph Mizel n'était âgé que de quinze ans lorsqu'il fut désigné. Ils étaient tous fils de manouvriers.
A Coulommiers, pour des "droits seigneuriaux sur des terres appartenant aux curés et chapelains de l'église St Denis de Coulommiers situées sur les seigneuries de Gloise (à Vaudoy) et de la Mal Maison et le fief de Leursine" les hommes vivants et mourants choisis étaient plus âgés : Claude Mondolot avait vingt neuf ans en 1705, Jean Huvier était âgé de vingt sept ans en 1749, à la différence des fils de paysans de la Chapelle Rablais, Mondolot et Huvier étaient des notables, et fils de notables. Claude Mondolot avait été écuyer, conseiller du roi, avocat au parlement, bailli et maire de Coulommiers ; Jean Huvier était "écuyer, lieutenant des eaux et forêts de la maîtrise particulière de Coulommiers, avocat au Parlement de Paris, en Parlement, seigneur du Mée, de Maricorne et de Rouville, bailli de la châtellenie-pairie, maire de Coulommiers; subdélégué de l'intendance de Paris; conseiller et procureur du roi en l'élection de Coulommiers; secrétaire du roi, correspondant de la société royale d'Agriculture; procureur syndic du département de Rozay; commissaire du roi près le tribunal du district de Rozay séant à Coulommiers..."
d'après les recherches de Denis Sarazin Charpentier
Jean Huvier était aussi le frère d'Etienne Fare Charles Huvier, curé de la Chapelle Rablais de 1752 à 1759, d'où ces recherches sur la ville de Coulommiers où les deux frères étaient nés.

Acte de présentation d'homme vivant et mourant à Coulommiers, 11 décembre 1749

Etienne Fare Charles Huvier fut curé de Marolles en Brie avant de desservir la cure de la Chapelle Rablais. Il était aussi chapelain de Sainte Marie Madeleine, dans l'ancien château de Coulommiers, depuis longtemps reconverti en "Couvent de la Congrégation de Notre Dame de Paix ordre de St Augustin". Deux liens avec des actes de 1781 et 1783 où lesdites religieuses présentent à "très haut et très puissant seigneur Monseigneur Anne-Pierre de Fezensac Marquis de Montesquiou seigneur châtelain de Coulommiers en Brie.." Gédéon-Alexis Quatre Solz, en famille avec les châtelains de Marolles, comme "vicaire ou homme vivant et mourrant desdites Dames Réligieuses".
Gédéon Alexis, quoique désigné comme "vicaire" n'avait rien de religieux, en 1781, âgé de quinze ans, il était "jeune étudiant au collège de Juilly" quand il représenta les soeurs pour la propriété de leur couvent à Coulommiers; en 1783, dans l'acte concernant des terres dépendant du fief des Essarts ou de la Madeleine à Bannost, Gédéon-Alexis était alors "chevalier étudiant au collège de l'école militaire de Rebais"; plus tard, il sera marchand de tableaux. S'il était plus jeune que les représentants des prêtres et chapelains de l'église de Coulommiers, comme eux, il faisait partie d'une famille de notables.

Homme vivant et mourant pour les religieuses et description des bâtiments de leur couvent

Pour ces deux présentations d'hommes vivants et mourants, l'une pour les curés et chapelains de l'église St Denis de Coulommiers, aujourd'hui disparue, l'autre pour les religieuses du couvent de la Congrégation de Notre Dame de Paix, le représentant n'était pas choisi parmi les membres du clergé, mais dans les rangs des paroissiens; c'était aussi le cas dans le petit village de la Chapelle Rablais.

 

Sur cette gravure de la ville de Coulommiers par Chastillon vers 1600, l'église Saint-Denis est marquée par la lettre A, le vieux château qui deviendra le couvent des religieuses, lettres C et D. En B, le prieuré Sainte Foy, I la Commanderie des Templiers, K le Morin et ses brassets.

 

Le 13 juillet 1762, furent rendus par Etienne Fare Charles Huvier, ancien curé de la Chapelle Rablais, "Foy et hommage par Mr le curé de Cerneux pour monsieur Lemazier à M. le marquis de Clermont." Le marquis de Clermont était le châtelain de Montglas, paroisse de Cerneux."Monsieur Lemazier", inutile de le chercher à Cerneux, le bénéficiaire aurait été présent. Il existe des Le Mazier à Coulommiers, où le curé et son frère, maire et bailli, avaient de fortes attaches. Peut être s'agissait-il de Louis Philippe Le Mazier, écuyer, ancien officier de cavalerie en 1770, admis aux Invalides pour blessure reçue à la bataille de Minden en août 1759, d'où possible difficulté à se déplacer et intercession du curé Huvier auprès du seigneur de Cerneux.
Ceci n'est qu'une supposition; à préciser pour qui le souhaite en sollicitant le dossier (payant) auprès de l'Hôtel des Invalides Il sera difficile d'en savoir plus : dans la marge du répertoire du notaire Pierre Antoine Judas à Beton Bazoches, l'acte est noté "manquant". 254 E 206 p 213
Quoiqu'il en soit, dans ce cas, le curé Huvier n'était pas exactement un "homme vivant et mourant", puisque "Monsieur Lemazier" était tout à fait capable de vivre et de mourir par lui même...


Homme vivant et mourant : prestige chez les notables, rien de tel chez les manouvriers...

 

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Les parcelles relevant du seigneur des Moyeux ne concernaient pas toutes les terres de la Fabrique de la Chapelle Rablais. Il est vrai que certaines parcelles relevaient d'autres seigneurs, comme celui de Nangis dont le blason figure au dessus d'une porte de l'ancien café : "La fabrique doit audit Seigneur aussy annuellement 2 livres 6 sols 2 deniers."
Brichanteau puis Guerchy ont reçu l'hommage des paroisses de Bailly, Clos Fontaine, Fontains, Nangis, Rampillon, Tresnel, Valjouan, mais aucun acte avec la Fabrique de la Chapelle Rablais.

Sources : notes du curé / répertoire des notaire Nangis I

Les actes de 1748 et de 1786 ne concernent que trois arpents et demi sur les cinquante deux possédés par la Fabrique (voir la liste page précédente) :
En la présence du Notaire Royal et des tesmoins soussignez, Antoine Philippe Fadin, laboureur demeurant à la Truchonnerie paroisse de la Chapelle Rablay, Claude Gibert manouvrier demeurant à la Chappelle Rablay, au nom et comme marguilliers en charge de l'église et fabrique dudit lieu de la Chappelle Rablays, se sont transportés au château des Moyeux en la paroisse de ladite Chappelle Rablay, lesquels ont dit et déclaré que par sentence de la prévôté des Montils et des Moyeux du huit mars mil six cent quatre vingt trois, Nicolas Lhuillier et Louis Sebert pour lors marguilliers en charge de ladite Eglise auront donné et fourny à Mre Denis Deballoy chevallier Seigneur de St Martin de la Borde des Montils des Moyeux et autres lieux, pour homme vivant et mourant à cause de la quantité de trois arpents et demy tant terres que prez ou environ étant en la censive et seigneurie directe dudit seigneur dont la déclaration suit :

Terres labourables
1 Premt demy arpent trois perches de terres assis sur la Rue des Montils...
2 Plus trois quartiers trois perches de terre en seize sillons assis sur les Vieux Prez...
3 Plus un arpent huit perches de terre assis sur les jardins des Montils...
4 Plus vingt six perches de terres assis sur les Prés Ricard...
5 Plus un quartier de pré assis aux Prés Ricard ...
6 et enfin trois quartiers de prez au Pré Ricard...

"trois perches de terre en seize sillons" : certaines parcelles étaient tellement étroites que, pour en noter les limites, on se contentait de compter le nombre de sillons que l'on pouvait y tracer. Peut être les vestiges du défrichement médiéval.

Histoire de la Chapelle Rablais, le défrichement médiéval
Doc: terres nobles ou roturières

 

Comment a été choisi le jeune Joseph Mizel, homme vivant et mourant en 1748 ? Une concertation antre marguilliers ? avec le curé ? lors d'une assemblée d'habitants au sortir de la messe ? les actes de 1748 & 1786 ne le précisent pas. Un tabellion n'a pas été convoqué pour ratifier le choix. Il faut avouer que si le recours au notaire était plus fréquent que de nos jours, il n'était pas gratuit : "S'obligent en outre lesdits Fadin et Gibert audit nom de payer les frais des présentes et d'en fournir l'expédition sous forme probande audit seigneur ou luy rembourser le coût." 1748

 


Un acte de présentation d'homme vivant et mourant en 1786 dans le tout petit village de Congerville, 97 habitants en 1793, proche d'Etampes, détaille les modalités de choix au cours d'une assemblée, ainsi que foi et hommage, comme nous verrons plus loin : "Tous représentants la plus saine et notable partie des habitans de laditte paroisse ausquels susnommés ledit Chausson (marguillier) a dit qu’il étoit nécessaire qu’il y eut un vivant et mourant à cause des biens nobles que possède laditte fabrique... tous d’une commune et unanime voix ont nommé et éleu aux biens nobles de laditte fabrique et pour vivant et mourant aux seigneurs suzerains desdits biens la personne de Jean Pierre Haillard manouvrier demeurant à Congerville" AD91_2E37/32

1786 Homme vivant et mourant sur le site Epis de Beauce

Choisi, élu... le 8 décembre 1748, le jeune Joseph Mizel, quinze ans, accompagné de Claude Gibert, manouvrier et d'Antoine Philippe Fadin, laboureur de la ferme de la Truchonnerie, tous deux marguilliers, se présentait aux portes du château des Moyeux.

 

 

Tout d'abord, effacer cette vue du château tel qu'on le connaît de nos jours qui ne date que du milieu du XIX° siècle, reprenant les fondations du bâtiment ancien, mais dont l'aspect nous est inconnu.
Les plans anciens montrent qu'il était constitué d'un logis seigneurial, au sud et d'une ferme, quelquefois nommée "Basse cour des Moyeux", comme aux temps médiévaux où les châteaux-forts étaient divisés en basse-cour et haute-cour.

En survolant le plan ci-contre avec la souris, on passera du plan tracé sous Latour Maubourg, an II de la République (bâtiments roses) à celui de Lemaire qui édifia le nouveau château sous Louis Philippe, d'autres détails dans le chapitre sur les maçons de la Creuse (qui ne bâtirent pas cet édifice).

Doc : le château des Moyeux

 

Que l'on imagine ce fils de manouvrier, domestique, face à Cyprien de la Brière des Moyeux, "écuyer, controlleur ordinaire des Guerres à présent Seigneur de la Seigneurie de la Borde des Montils des Moyeux et autres lieux". Bien sûr, Joseph l'avait croisé auparavant, car Cyprien résida longuement à la Chapelle Rablais où naquirent Anne Marguerite en 1752, et l'année suivante Charles, que l'on retrouvera dans l'acte de présentation d'homme vivant et mourant en 1786. Ils avaient aussi de fortes attaches à Paris. A son mariage en 1713, Cyprien résidait rue Notre Dame, paroisse St Jean le Rond à Paris, au collège d'Harcourt et aux Moyeux. Son épouse dont les parents demeuraient rue de l'Arbre Sec, paroisse St Germain l'Auxerrois; hérita de boutiques dans la capitale. Plusieurs actes notariés rédigés à Paris en attestent. Leur demeure en ville reste à découvrir...
Joseph Mizel avait certainement entrevu le châtelain à l'église, mais avait-il eu l'occasion de la côtoyer, de se rendre en son logis?

Ci-contre, Un portrait par Jean Baptiste Oudry représentant un contrôleur des guerres contemporain de Cyprien, car peint en 1719.

Sous quelle forme Joseph Mizel, puis François Bony ont ils "fait les soumissions et devoirs requis et nécessaires" suivant la formule employée tant en 1748 qu'en 1786? L'homme présenté au seigneur de Congerville, cette même année 1786 devait "porter les foy hommages faire serment et rendre tous aveux et denombrements conformément aux anciens et à la coutume" sans que l'on sache sous quelle forme; les recueils comme "Le parfait notaire apostolique" ou le "Dictionnaire de droit canonique" n'en donnent pas la teneur. Il faut dire que ces relations église/seigneurs n'étaient pas du ressort du curé, mais de la Fabrique de l'église qui en gérait les biens. (Je suis loin de connaître toutes les sources sur ce sujet, peut être pouvez-vous m'aider ? )
L'entrevue avec le seigneur des Moyeux a-t'elle ressemblé à celle avec le seigneur de Nangis, recevant foi et hommage du représentant des frères Grandjean, nouveaux propriétaires de terres sises à la Haute Borne, la Chapelle Rablais :
"Et ledit Marquis de Guerchy et Nangis étant survenu, ledit sieur Connot lui a exhibé lesdites procuration et contrat d'acquisition, et s'étant mis en devoir de vassal sans épée ni éperons tête nue et un genouil en terre ledit Connot lui a dit qu'il lui faisoit foy et hommage pour lesdits sieurs Grandjean frères ses commettants à cause dudit fief mouvant et relevant de lui à cause de sa seigneurie de Vienne."
11 déc 1785 Minutes du notaire Vaudremer 188 E110

(On pourra découvrir sur ce site, la double vie, déjà évoquée, de ces frères, oculistes royaux et sujets de plusieurs nouvelles croustillantes de Restif de la Bretonne)

Doc : le texte intégral de la présentation d'homme vivant et mourant 1748
Doc : le texte intégral de la présentation d'homme vivant et mourant 1786
Les deux vies des frères Grandjean

 

 

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