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Mise à jour: avril 2021
Zones d'ombre dans
la vie
d'Etienne Labarre, marchand de bois.../ 3
Les vingt ans qui suivirent le retour de Martinique d'Etienne Labarre lui furent fastes. Richesse: bourgeois de Paris, il rachète le domaine de son enfance, étend ses terres, s'associe pour exploiter des coupes de bois... Position sociale: représentant du Châtelet pour les cahiers de doléances, administrateur du département, juge de paix... Famille: naissance de deux filles, beau mariage de Madeleine avec Adrien Joseph Hippolitte Delacourtie, propriétaire, qui sera maire de Melun en 1835... Les années suivantes seront plus mouvementées.
"...la société qui a existé
étant défunte par un jugement arbitral du sept prairial an
dix, qui a constaté l'état de la société et
établi le Sr Labarre débiteur de sommes considérables."
Jugement en appel du 24 prairial an XII, 13 juin 1804, cité par la
veuve Milly
La dissolution de "la société pour l'exploitation de coupes de bois de Montgirard et autres" ne se fit pas sans heurts; Labarre et Milly étaient encore en procès quand Louis-Lézin décéda, le le 5 fructidor an XII, 23 août 1804. L'associé d'Etienne Labarre, devait percevoir un reliquat de 23.125 livres, sans compter une créance de 5.000 livres du sieur Delabarre qui n'est autre qu'Etienne Labarre. Le décès de Milly laissa en suspens le réglement de la dette, pour le plus grand dam de son épouse...
On peut dire que le citoyen Labarre ne
manquait pas d'air: après avoir été en procès
pendant deux ans avec Louis Lézin de Milly, il s'empressa de tenter
de rafler la tutelle de ses enfants, pour leur plus grand bien, évidemment,
tout en précisant de mettre sous scellés
"les papiers délaissés par Monsieur Milly" qui
auraient révélé ses dettes.
S'ensuivirent quatre jours de recours devant Marie Michel Fariau Juge
de paix du 7e arrondissement et Huet son greffier, tant du côté
Labarre représenté par l'avoué Pierre Malafait que de
celui de la veuve, Adrienne Douillon assistée de son avoué Pierre
Nicolas Delamotte.
Une lettre de Labarre arrive à quatre heures
de relevée (après-midi): "est
opposant et s’oppose formellement par ces présentes à
ce que soit procédé à la levée des scellés
apposés hier si ce n’est en sa présence... en lui laissant
le délai nécessaire pour être averti de la dite levée
des scellés et se rendre de la dite commune du Châtelet à
Paris, distance de sept myriamètres..."
Admirons au passage l'efficacité supposée de la Poste; malgré
la distance, un peu exagérée de 70 kms, entre Paris et le
Châtelet en Brie, l'aller et retour du message se serait fait en une
journée, à moins que Labarre ne soit resté à
Paris, simulant l'éloignement.
La dame Veuve Milly, assistée du S. Delamotte, son avoué,
a répliqué que "c’est
la première fois qu’on a vu un débiteur presenter avec
avec un acharnement aussi indécent son créancier, et vouloir
sans droit et sans qualité assister à un inventaire auquel
il est parfaitement étranger."
Le 12 fructidor au soir, le juge Fariau demande un jugement en référé
pour le jour suivant par le président du tribunal civil du département
de la Seine.
Le 13 fructidor, le président juge du tribunal, Thomas Berthereau,
déclare qu"il sera procédé
et passé outre aux opérations de levée des scellés
et inventaires dont il s’agit hors la présence du Sr Malafait".
La pauvre veuve qui n'avait pas besoin de toute cette agitation après
le décès de son époux, semblait tellement épuisée
qu'au lieu de signer A. Milly née Doüillon, elle parapha le
dernier document "Douïlly" .
L'inventaire se fit plus tard sans Labarre et confirma la créance
de 5.000 francs.
Tous documents sur Louis Lézin de Milly: recherches de M. Alexandre Blondet que je remercie.
Les ennuis familiaux s'accumulent: les deux petites filles nées à Bois Louis, Adélaïde Marie (1788) et Justine Denise Elisabeth (1790), décèdent en bas âge, la même semaine de mars 1792. Quant aux cinq aînés, un garçon et quatre filles, seule Marie Thérèse a fait un "beau mariage" du vivant d'Etienne. Les autres semblent avoir causé bien du souci à l'ancien juge de paix et administrateur départemental, "ami de l'ordre" qui, pourtant, avait donné l'exemple.
Bousculons un peu la chronologie afin de garder le plus croustillant, le
plus "people" pour la fin, comme dans les séries télé
et suivons Rachel, sautons quelques décennies.
Etienne Labarre est mort en juillet 1820. En 1822, comment
interpréter le mariage tardif de sa fille Catherine Rachel, fille
majeure et légitime de feu Etienne Labarre et Marie Elisabeth Lefèvre
"légitimée par le mariage
subséquent de ses dits père et mère"
qui épousa Jean Baptiste Cécile Werger, 42 ans. Sous les drapeaux
depuis 1803, simple soldat, il gravit peu à peu les grades jusqu'à
celui de Capitaine à la Légion de Seine et Marne en 1816;
membre de la Légion d'Honneur en 1813; à la retraite lors
de son mariage. Il n'arrêta pas de se faire taillader et perforer.
Qu'on en juge: "blessé d'une balle
au grand pectoral 1806, d'une balle au bras gauche et de trois coups de
sabre dont deux à la tête et l'autre sur la main... une balle
à la partie supérieure de la cuisse droite qui en fracture
incomplètement le fémur... idem d'une balle au col... idem
d'un boulet à la partie latérale supérieure de la cuisse
gauche... idem d'une balle à l'aine gauche en 1815..."
Etat des services 73° régiment
d'Infanterie 1816
La sémillante Victoire
Tire à son tour par en bas
Un guerrier couvert de gloire,
Bravant l'horreur du trépas.
Elle ajuste son échelle,
Pour obtenir cet amant
Sans regret plus d'une belle
A la ville en fait autant.
Chanson: l'arbre d'amour.
Imagerie Pellerin Epinal
En essayant d'embobiner la veuve et l'orphelin de Louis Lézin de
Milly, Etienne Labarre ne se doutait pas qu'il allait tomber sur un os!
Les réseaux que l"Américain" avait tissés
montrèrent leur efficacité, même après sa mort.
"L'époque est à la mise en place
de l'Empire, suite aux attentats avortés du clan Cadoudal, et la
police est omnipotente. Le conseil de famille comprend Comminges, Champein,
ancien codirigeant du Bureau Central (future préfecture de police)
et Mercadier, représentant et grand dignitaire du Grand Orient. Le
Juge de Paix, Fariau est un obligé de Milly qui lui avait donné
un poste en 1798. Et même le notaire, Lenormand, s'était installé
dans le quartier lorsque Milly y contrôlait tout, et son épouse
était une Gravier, comme par hasard apparentée au beau-frère
de Milly..." correspondance avec Alexandre
Blondet
Le "subrogé
tuteur des enfants, le Sr Comminges, commissaire de police de la division
de la Butte des Moulins à Paris"
s'était rendu célèbre en arrêtant, cette même
année 1804, le général Pichegru, l'un des conspirateurs
contre Napoléon, tous deux représentés sur cette image
d'Epinal. Pour reprendre l'expression de M. Blondet, qui a rédigé
un ouvrage sur Milly: "Voir ainsi Labarre
se lancer dans une procédure judiciaire face à tant de connaissances
influentes de Milly, véritable panier de crabes, me fait presque
avoir de la sympathie pour lui."
Le lundi 22 mai 1815, à l'heure de midi, maître Antoine Henry Jules Bernard, notaire à Melun, François Alexandre Couillard vigneron au Châtelet et Pierre François Duvau vigneron, se présentent à la porte de Bois Louis. Ils ne sont pas reçus par Etienne Labarre, et ne peuvent rencontrer, dans la cuisine, que Marie Madelaine Eléonore Boutonnet. Ils ont dû se contenter de laisser à la fille Boutonnet "copie des présentes pour servir de notification à M. Labarre père". Pour prouver qu'ils se sont bien rendus à Bois Louis, est jointe une description sommaire de la pièce où ils ont pu pénétrer: "dans la cuisine étant au rez de chaussée éclairée par une croisée donnant sur les bois et dans laquelle cuisine on entre par une porte au près de l'escalier."
L'acte qu'ils ont essayé de présenter à Etienne Labarre
était une "sommation respectueuse" sollicitée par
son fils Pierre François. Même ayant atteint la majorité
pour le mariage, les jeunes gens étaient tenus de solliciter le consentement
des parents récalcitrants par un "acte respectueux" présenté
par un notaire, plus témoins, par trois fois pour les hommes entre
vingt- cinq et trente ans (de 21 à 25 pour les femmes), avec un mois
de délai entre chaque acte. Après trente ans, un seul acte
était encore requis. Pierre François avait 37 ans, pourtant
il sollicitait le consentement de son père; il allait obtenir celui
de sa mère, séparée de son époux, par acte du
14 juin, chez le même notaire. "... le
requérant demande respectueusement le Conseil de M. son père
sur le mariage qu'il se propose de contracter avec Anne Louise (Pelle Pele,
rayé) Peltier fille majeure de feu Jacques Peltier vigneron et de
Marie Anne Saulnier décédée, son épouse. qu'il
se propose également de demander aussi le Conseil de Elisabeth Lefèvre
sa mère, épouse séparée de corps et de biens
du sieur Etienne Labarre retirée à Melun. Dont acte."
minutes du notaire Antoine Bernard de la Fortelle, Melun. AD77 217 E 261
n°173
Texte intégral de la sommation respectueuse et acte de mariage
Comme Labarre père, Labarre fils avait eu une progéniture hors mariage avec Anne Louise Pelletier: en 1815, année du mariage, l'aîné, Jean François, était déjà un adolescent de treize ans; "le second en date du 21 juillet 1806 sous le nom de Madeleine Elisabeth Eufrasie, le troisième en date du 23 décembre 1808 sous le nom d'Antoine Télémaque et le quatrième en date du 14 mars dernier sous le nom de Louise Elisabeth Iphigénie... lesquels quatre enfants ils reconnaissent pour leurs fils et filles."mariage le 8 juillet 1815 Etat civil le Châtelet en Brie AD77 5 Mi 1914 p 22 à 24 Un cinquième enfant était né hors mariage, Louise Iphigénie, née le 22 mars 1813 et décédée le 10 juin 1814 au Châtelet. A l'époque de son mariage, Pierre François était cultivateur, on le retrouvera marchand épicier "Grande rüe près de la place du puits de l'Echelle", au carrefour principal du Châtelet, là où, un siècle plus tard, se trouvait encore l'épicerie "L'Union Commerciale". Ses fils seront confiseurs, à Melun et Montereau.
Pourquoi Etienne Labarre s'opposait-il
au mariage de son fils? En l'absence d'écrits personnels (journal,
livre de raison, note marginale...) il faut de contenter de la sécheresse
des documents officiels et tenter de lire entre les lignes.
Une hypothèse est qu'Etienne avait réussi à cacher les
frasques de ses années antillaises et la naissance illégtime
de ses enfants. Ayant acquis une position sociale de premier plan, en Seine
et Marne, il n'avait peut être pas envie que sa morale de "Juge
de paix et principalement comme ami de l'ordre"
puisse être entachée. L'annonce d'un mariage sous entendait au
minimum, l'affichage en mairie dans le cas d'un mariage civil et l'annonce
trois semaines consécutives au prône de la messe dominicale,
dans le cas d'une cérémonie religieuse; tout le Châtelet
aurait pu tomber sur les expressions "illégitime"
ou "légitimé
par le mariage subséquent de ses dits père et mère".
"Pierre François Labarre,
garçon majeur né en la paroisse de Notre Dame de Bon Port du
Mouillage de Saint Pierre isle de la Martinique le 14 juin 1778, suivant qu'il
appert d'une déclaration faite au directoire du ci-devant district
de Melun, du 24 septembre 1793, demeurant au Châtelet, lequel est dans
l'impossibilité de représenter son acte de naissance. "
Etat civil le Châtelet en Brie AD77 5 Mi 1914 p 22 à 24
Etienne Labarre, alors très influent, avait pris la précaution
de faire établir des actes bien avant d'en avoir besoin; âgé
de seulement 15 ans, Pierre François n'avait pas vraiment l'usage d'une
pièce officielle. A noter que cette procédure n'avait rien d'inhabituel:
son associé Louis Lézin de Milly n'avait pas pu présenter
d'acte de naissance à l'occasion de son mariage en 1794, remplacé
par un acte de notoriété passé devant le juge de paix
de la section Lepelletier.
Ici se termine cette petite enquête qui a avancé
au fil des documents découverts: au départ, Etienne Labarre
n'était qu'un simple marchand de bois parmi d'autres, sa biographie
s'est étoffée au fil des trouvailles: huissier en Martinique,
représentant du Châtelet pour les cahiers de doléances,
juge de paix, administrateur départemental, châtelain de Bois
Louis, associé à la morale élastique, mari et père
au caractère bien trempé...
Etienne Labarre ne sort pas grandi des documents qui exposent sa vie, mais
il en existe peut être d'autres qui révèleraient une
autre facette du personnage... ou d'autres qui l'accableraient plus encore.
A suivre...
Dans le cadre d'une recherche sur les moissonneurs migrants,
je me suis penché sur le sort d'anciens prisonniers des guerres révolutionnaires
qui choisirent de rester en France après un long séjour dans
les dépôts de Seine et Marne. Des Polonais, des Bohémiens
enrôlées dans l'armée autrichienne, étaient devenus
"batteurs en grange", métier épuisant, mais ne demandant
presqu'aucun investissement, à la mesure de leurs faibles ressources:
un simple fléau, deux bâtons reliés par une courroie,
était la base de leur outillage. Sans que
rien ne le confirme, Michel Pirsack pourrait avoir aussi été
prisonnier de guerre: la période, son origine géographique,
ses fréquentations, et son métier, demandant plus de savoir
faire que de matériel, le même que Joseph Barowiski, dit Zaltaro,
tailleur d'originaire polonaise, que l'on retrouvera plus tard à
la Chapelle Rablais... Ces éléments m'ont mis la puce à
l'oreille.
Manque l'acte qui pourrait confirmer ou infirmer cette hypothèse.
Si on peut identifier 1.317 des 2.500 prisonniers recensés en Seine
et Marne en thermidor an III de la République, ceux les listes des
dépôts de Beaumont, Egreville, Fontainebleau, Melun, Moret
et Nemours n'ont pas été conservées. Dommage, Michel
Pirsack y aurait peut-être figuré, mais, répétons-le,
ce n'est qu'une hypothèse!
Ancien prisonnier de guerre ou non, l'union avec Michel Pirsack ne devait pas convenir à Etienne Labarre, coq de village, ancien juge de paix, présumé riche puisque châtelain. Qu'on en juge: un petit tailleur, puis fripier, pauvre (il finira en 1857 à l'hospice de Fontainebleau) ! Pas mieux lotis que la famille Peltier, petits vignerons au Châtelet dont Pierre François avait choisi d'épouser la fille. On est loin de l'aisance des Delacourtie, le père procureur au Parlement de Paris, le fils haut fonctionnaire et ambitieux puisqu'il sera maire de Melun...
Lassée de solliciter le consentement de son père depuis 1809, Elisabeth Madeleine Héloïse mit au monde un enfant en novembre 1811, que Michel Pirsack reconnut, "Elisabeth Labarre, demeurant avec lui dans la maison de M. Louvet, marchand de bois." Héloïse et son fripier s'épouseront deux ans plus tard, le 30 décembre 1813, reconnaissant Michel, comme les parents Labarre l'avaient fait quelques décennies plus tôt. Couturière, Elisabeth Madeleine Héloïse mit tout de même un point d'honneur à faire ajouter "de Bois Louis" dans la marge, signant "emh Labarre de Bois Louis". Elle décèdera quelques mois plus tard, le 28 mars 1814, à l'âge de 28 ans.
L'acte de mariage d'emh Labarre (de Bois Louis) fait apparaître la signature d'Esther; elle ne figure évidemment pas parmi les témoins, tous des hommes. Comme Héloïse, Esther était née à Paris, paroisse Saint Gervais. On trouve d'autres traces d'elle à Fontainebleau où elle décèdera le 28 mars 1822, "bourgeoise, âgée de 38 ans, née à Paris, fille de feu Etienne Labarre et de Marie Elisabeth Lefèvre, demeurant à Melun". On apprend par cet acte le décès (entre 1818 et 1822) d'Etienne. Son adresse, "Paris rue des Coutures St Gervais n°14", avait été révélée par l'acte précédent en 1818: la naissance hors mariage de "Marie Jeanne Virginie, fille de Marie Jeanne Esther Labarre, accouchée chez la sage femme Augustine Vincent". Elle avait déjà eu un enfant, hors mariage en 1809: "Jean Augustin, fils de Marie Jeanne Esther Labarre, accouchée chez la sage femme Chevreau, rue Basse, Fontainebleau." Esther, "bourgeoise", avait eu au moins deux enfants illégitimes, à une dizaine d'années d'intervalle, sans indication de père, de résidence (elle accoucha par deux fois chez une sage femme), de métier... Avait-elle envisagé le mariage et, elle aussi, sollicité la bénédicition paternelle ?
Lorsqu’une enquête généalogique vous entraîne, pendant des années, à travers les siècles et les océans, à explorer le monde colonial, de Terre-Neuve à la Martinique, à regarder en face l’esclavage et la genèse de la révolution américaine?; qu’elle vous amène, sans en avoir l’air, dans le Paris de la Révolution, de la Bastille à Brumaire?; et qu’en prime, elle vous pousse à reconstruire une part de l’histoire du Grand-Orient de France jusqu’à l’avènement de Napoléon : on doit bien admettre que les petits ruisseaux des histoires familiales finissent toujours par se rejoindre, et par se fondre dans le puissant fleuve, souvent tumultueux qu’est l’histoire du pays.
C'est bien loin des lieux habituels que l'on retrouve pour la dernière
fois Etienne Labarre, puisque son décès est signalé
à Nantes, le 13 juillet 1820: "64 ans,
né à Villeneuve le Roy dpt de l'Yonne, époux de dame
Marie Elisabeth Lefèvre, rentier, décédé dans
sa demeure, maison Gautier, place Royale, 3° canton de Nantes"
Etat civil de la ville de Nantes 1 E 464 p 89
Il s'agit bien d'Etienne Labarre, ancien bourgeois de Paris. Mais
qu'allait-il faire à Nantes? Songeait-il à embarquer pour
les Antilles comme en 1772? Quel était son état de fortune?
L'adresse est prestigieuse, comme le terme "demeure", mais à
l'époque, toutes les classes de société pouvaient se
retrouver dans le même immeuble, des mieux nantis à l'étage
noble jusqu'aux plus miséreux dans les mansardes.
Voir la coupe d'une demeure bourgeoise par Bertall 1845
L'un des témoins est commis (aux écritures de la Mairie?) l'autre est un cordier analphabète; étaient-ils des proches d'Etienne ou de simples témoins requis pour authentifier le décès? Labarre n'avait-il pas à Nantes des relations un peu plus prestigieuses?
De sa dernière demeure, Etienne dut appeler son fils à l'aide,
puisque le 14 juillet 1820, Pierre François Labarre, marchand épicier
demeurant au Châtelet, demandait un Passeport pour l'Intérieur
afin de se rendre à Nantes, Loire Inférieure.
Archives de la mairie du Châtelet en Brie. Registre des passeports
1818 à 1843
Etienne était mort le 13 juillet, le jour précédent. Aujourd'hui, on penserait immédiatement que Pierre était allé à Nantes pour s'occuper de la succession, mais à l'époque, Pierre ne pouvait pas savoir que son père était décédé la veille. De Nantes à Paris, le voyage en diligence prenait de cinq à neuf jours; la malle-poste était certes plus rapide, mais il était impossible d'être prévenu le 14 juillet au Châtelet en Brie d'un événement ayant eu lieu à Nantes la veille.
... Il avait fallu ce message
Pour que je fasse le voyage
Madame soyez au rendez-vous
Vingt cinq rue de la Grange aux Loups
Faites vite, il y a peu d’espoir
Il a demandé à vous voir
À l’heure de sa dernière heure
Après bien des années d’errance
Il me revenait en plein cœur
Son cri déchirait le silence
Depuis qu’il s’en était allé
Longtemps je l’avais espéré
Ce vagabond, ce disparu,
Voilà qu’il m’était revenu...
...Mon père, mon père...
Barbara : Nantes
Comme dans la chanson de Barbara, Etienne Labarre avait "demandé à vous voir". Il est dommage que la trace du voyage à Nantes de Pierre se résume à une ligne sur un registre; sa feuille de passeport pour l'intérieur aurait peut être précisé le motif.
Le voyage durait longtemps et coûtait fort cher. Que Pierre ait rattrapé
la Loire à Giens ou Orléans pour la descendre jusqu'à
Nantes en coche d'eau ou en bateau cabané (au moins trois jours depuis
Orléans); qu'il ait pris la diligence pour Paris puis ensuite celle
de Tours et Nantes par Angers (n'ayant pas trouvé Paris/Nantes, je
propose Paris/Angers) : "deux diligences les
mercredi et samedi à 7 heures du soir : 59 livres 4 sols (37 £
au cabriolet), un fourgon le mardi à midi : 24 livres. Les effets
3 sols 9 deniers."
Thierry Sabot es voyages et les déplacements de nos ancêtres
Plus les frais du trajet d'Angers à Nantes et celui du Châtelet
en Brie à Paris. N'étaient pas compris dans le tarif les repas
et les nuits à l'auberge. Aller et retour, plus les frais à
Nantes, ce très long déplacement avait dû coûter
au moins 150 ou 200 francs, une somme conséquente quand le salaire
journalier d'un artisan était aux alentours de deux francs. Pierre,
épicier au Châtelet était-il assez fortuné pour
le payer seul? A son décès, la table de succession n'indique
pas la somme laissée à ses héritiers.
Peut être a-t'il fait appel à son beau-frère assez fortuné
pour devenir maire de Melun de 1835 à 1837; quand il décéda
en 1846, Adrien Delacourtie laissera 100 000 francs à son fils Hypolite.
Que faisait le père à Nantes et qu'y a fait le fils?