Les scieurs de long/14
Relations des scieurs avec les autres migrants

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En abordant cette page des relations des scieurs, je dois d'abord préciser les limites de cette petite étude. En tirant l'un des fils de la pelote, je n'ai découvert que les scieurs et terassiers ayant un lien avec un petit noyau centré sur la forêt de Villefermoy, deux cent cinq hommes (et une femme se revendiquant "scieur de long") dont cent quarante originaires du Forez ou du Velay; je n'ai pas la prétention d'avoir relevé tous les scieurs et terrassiers ayant oeuvré en Brie, loin de là !
Si l'on découvre des concentrations de scieurs dans certains bourgs, comme Varennes sur Seine ou Villeneuve la Guyard, cela n'exclut pas que d'autres villages aient pu accueillir des groupes plus importants. Simplement, ils n'étaient pas sur le fil que j'ai suivi.

Certains scieurs ne laissèrent que peu de traces, migrants saisonniers, ou qui eurent le malheur de décéder loin de leur "pays". Plus d'un quart des scieurs retrouvés choisit de s'installer en Brie, avec leurs enfants, ils occupent plus de la moitié du "camembert" ci-contre. Pour ceux-ci, comme pour les locaux, on peut retrouver un peu plus de renseignements sur leur existence.
N'oublions pas que ce graphique ne représente pas l'ensemble des scieurs et terrassiers ayant fréquenté Villefermoy, ou apparentés, car tous les migrants n'ont pas laissé de traces..

Pour une grande partie illettrés, ces migrants n'ont pas laissé de traces écrites, du moins, je n'en ai pas retrouvé en Brie. Il fallait des circonstances exceptionnelles pour que leur passage soit noté: acte notarié, rapport de police, naissance, mariage, décès... Par jeu, je me suis posé la question des traces que j'aurais pu laisser pendant mes dernières vacances, en mettant de côté ce qui n'existait pas du temps des scieurs de long: exit les relevés téléphoniques, les facturettes de carte bancaire, les vidéos de surveillance et tant d'autres technologies de pistage... Je ne suis pas passé au tribunal ni chez le notaire, je n'ai pas été parrain, ni témoin à un mariage, je ne me suis pas marié, ni mort, je m'en serais peut être aperçu. Voici deux cents ans, je n'aurais laissé aucune trace.
Le grand nombre de migrants auvergnats découverts masque certainement un nombre aussi grand de saisonniers qui sont passés entre les mailles du filet.

"Quand un Auvergnat trouve un biais pour se faire de l’argent, il appelle toujours ceux de son pays." Henri Pourrat Migrant, voyageant, travaillant ensemble, les scieurs de long et les terrassiers n'ont pas cessé de se fréquenter après leur installation définitive en Brie. Quelques témoignages...

En 1819, mariage du scieur de long, veuf et passablement âgé, Claude Valliorque, 69 ans,"né à Saint Martin d'Alègre en Overgne" avec une fille, née en Brie, d'un terrassier originaire du Forez, Anne Marie Vignal, 40 ans, elle aussi veuve. Jusque là, rien de particulier.
26 juin 1819 État Civil, Chevry en Sereine AD77 5 Mi 2847

Les mariages entre confrères étaient fréquents (terrassiers et scieurs pouvant être assimilés). Par exemple, la plupart des scieurs de long recensés à la Chapelle Gauthier dans les années 1830 étaient unis par des mariages: Louis Derson scieur de long, avait épousé Rose Moreau, fille de Louis Adolphe Moreau, scieur de long, époux de Rose Trévé, soeur de Jean Baptiste Trevé, scieur de long.

Donc rien que de plus normal à ce qu'un scieur épouse la fille d'un terrassier, à part le fait que les communes de résidence des deux époux étaient passablement éloignées: l'épouse étant originaire de Mormant, l'époux résidant "de fait" à Chevry sur Sereine, à plus de quarante kilomètres de distance. Pas question d'échanges par courrier, sur l'acte de mariage, "les parties contractantes ... ont déclaré ne sçavoir signé". Les liens entre des migrants du centre de la Brie et ceux des franges du Gâtinais avaient perduré après l'installation des deux familles. Peut être par l'entremise des Monteillard qui comptaient des représentants à Château-Landon comme à Fontenailles et la Chapelle-Rablais. Les familles Vignal et Monteillard étaient d'ailleurs liées : Louis Vignal, fils d'un terrassier originaire de Craponne sur Arzon, Haute Loire et lui-même terrassier à Mormant y épousa Marie-Anne Monteillard, fille mineure de Jacques Monteillard, terrassier à Fontenailles, originaire d'Allègre, Haute Loire.

Mariage Vignal / Monteillard 20 septembre 1792 Etat civil, Fontenailles AD77 5 Mi 5484

Comme on a pu voir avec les frères Besseyre, certains membres de la même famille choisirent de s'installer, non pas dans le même village, mais dans des bourgs proches. Ce fut le cas des frères Monteillard dont il fut question plus haut.

Jacques, l'aîné, né en 1749 à Allègre, se maria à Fontenailles en 1775. Il était terrassier et ses descendants le furent aussi. Son frère Barthélémy né en 1755 se maria aussi à Fontenailles en 1780. Il était scieur de long et ses descendants le furent aussi. Pourquoi l'un était-il terrassier quand l'autre était scieur? Mystère!
Barthélémy ne resta pas à Fontenailles, où il avait pris épouse, mais s'intalla à la Chapelle Rablais où il diversifia ses activités. Le simple "scieur d'aix", "scieur de longt" devint au fil des années "maître écarrisseur", mais aussi petit cultivateur, exploitant des terres dont il pouvait vendre le produit, on en retrouve la trace dans l'inventaire après décès d'un voiturier thiérachien:
"Dettes passives... 28. Ladite veuve Nival déclare ... dû à Montillard manouvrier aux Montils soixante francs pour luzerne que ledit a fourny"

29 floréal an XI AD 77 261 E 61 minutes du notaire Hardouin

Notons qu'il ne sera jamais question de soeurs, aucune ne semblant avoir fait le voyage. Pas plus que d'épouses, restées au pays pendant la mauvaise saison, un peu plus favorisées que celles des maçons limousins qui devaient se charger des lourds travaux de fenaison, de moisson puisque leurs époux étaient partis à la belle saison... Certains scieurs mariés ne quittèrent définitivement le Forez qu'après veuvage.

16 mars 1819 Mariage de Claude Nicolas, scieur de long, né le 13 floréal an II à Allègre, Hte Loire, fils de feu Claude Nicolas, maréchal ferrant à Allègre et de feue Madeleine Mattet, domicilié à Dormelles. avec Marie Scholastique Bontemps, née le 29 mai 1792, fille d'Edmé Bontemps, vigneron et d'Elisabeth Françoise Couppé.
Témoins de l'époux: Martin Amable Nicolas, 32 ans, terrassier dans la commune d'Ouchy, Yonne, frère; François Nicolas, 26 ans, terrassier à Toraille, Loiret, frère; ne signent pas.

Etat civil de Dormelles AD 77 5 Mi 6437 p 77

Plusieurs actes attestent la présence dans le Gâtinais des frères Nicolas (présentés quelques pages auparavant, leur frère aîné ayant reçu bonne éducation et atelier de maréchal paternel) tous nés à Allègre, Haute Loire. François fut terrassier à Thoraille, se maria et décéda à la Selle en Hermoy, deux villages du Loiret. Claude, qui fut un temps terrassier aux côtés de son frère, se maria à Dormelles, Seine et Marne, il était devenu scieur de long. Un troisième frère s'était joint aux autres : Martin Amable. Tailleur d'habits dans le Forez où il s'était marié en 1809, on le retrouvait une dizaine d'années plus tard, terrassier dans le Gâtinais. Terrassier et tailleur d'habits ne demandaient que peu d'outils. Une pioche, une pelle pour l'un; des ciseaux des aiguilles pour l'autre, pas besoin de boutique, le tailleur allait de ferme en ferme pour couper et coudre les pièces filées et tissées à la maison.
Une fois encore, des frères choisirent de s'installer dans la même région, mais pas dans le même village. Cette singularité m'a permis de corrriger l'acte de 1819. Toraille ne fut pas bien difficile à préciser en Thorailles, non loin de Montargis, Loiret. Par contre, point d'Ouchy dans le département de l'Yonne. Mais un village de Douchy, lui aussi dans le Loiret, le troisième frère restant proche des deux autres..

Pourquoi diable aller chercher des exemples de terrassiers du côté de Montargis alors qu'on est censé s'intéresser aux scieurs de long en forêt de Villefermoy ? Tout d'abord parce que les migrants du Forez, sont terrassiers, quand ils ne sont pas scieurs de long : Jacques Monteillard est terrassier et son frère est scieur; Martin Amable Nicolas et François Nicolas sont terrassiers quand leur frère Claude est scieur... Les terrassiers de la famille Nicolas oeuvrent non loin de la forêt de Montargis; le scieur à Dormelles, dans le Gâtinais. La famille avait déjà des liens avec la famille Valhorgues à Allègre, dans le Forez, (l'aîné, Blaise a épousé Jeanne Marie Valhorgues). Claude Nicolas est témoin au mariage du scieur (local) Clément Séverin Rousseau, lequel fréquente à Dormelles des Valliorgue, que l'on retrouve à Varennes sur Seine, où a travaillé le scieur forézien Fleury Villard qui est venu s'installer à la Chapelle Rablais. Encore un fil à remonter.

 

Nombre de scieurs ou terrassiers restaient groupés dans le même village; c'est ainsi qu'à Varennes sur Seine, on trouva pas moins d'une douzaine de scieurs, alors que la commune, dans un méandre de la Seine, n'était pas particulièrement boisée: quatre Olagnier, Héritier, Malfant, Fétilleux, deux Villard, deux Valiorgue, de la même famille que le Valliorque de Chevry: suivant le village, l'officier municipal retranscrivait comme il le sentait le "Valhorgue"d'origine; la combinaison "lh" étant totalement inusitée en pays d'oïl. (Si j'ai approfondi les recherches sur Varennes et non d'autres bourgs proches, c'est à cause de Fleury Villard, scieur forézien qui transita par ce village avant de se fixer à la Chapelle Rablais).

Cinq scieurs de la famille Besseyre, originaire de Chassignolles, Haute Loire, se fixèrent en Brie, dans des villages différents aux alentours de 1775. Trois frères, fils de Jacques "Jacounet" Besseyre (°1708) et de Marie Thaunat: Etienne, Jacques l'aîné, Jacques le Jeune; et deux cousins par l'arrière grand-père, fils d'autre Jacques (°1719) et de Charlotte Dumas: Etienne l'aîné et Etienne le Jeune. Suivant les villages où ils laissaient des traces, le nom de famille variait : on trouva des Besseire, Besseyre à Vert St Denis, et aussi Voulx, Villeneuve la Guyard, Villeblevin; des Bessel, Besselle à Ozouer le Voulgis, les Ecrennes, Verneuil l'Etang; des Bécelle à Villeneuve la Guyard, Guignes, la Chapelle Gauthier (transcrit Breuille dans la table décennale), et Vert Saint Denis où Henriette fit officiellement changer son nom en Bécelle. Même origine, même parents, mais des frères aux patronymes différents suivant les villages...

Pierre Giraux, "silleur de long" originaire de "St Etienne-près-Alègre, Auvergne, district de Brioude" maria en 1825 sa fille Florentine Félicité à François Maury, marchand de "pare à pluie" de Corrèze; plus que probablement colporteur en parapluies, comme son père, "marchand de parapluye, demeurant la commune de Cirgues Dayze, canton de Servières, département de la Corrèze, décédé chez Nadal Purac, manouvrier, 16 rue du Mureau Provins". Le frère et l'oncle de François Maury étaient aussi marchands de parapluies, l'un des métiers des migrants, comme le montrent les cartes des métiers et destinations des migrants "limousins".

Limousins : métiers, destinations

François Maury poursuivit quelque temps le métier familial avant d'opter pour celui de scieur de long, trois ans après son mariage. A noter que Pierre Giraux, le père de l'épousée, avait choisi le métier plus reposant d'aubergiste.
Restons dans la famille Giraux. Un fils, "Pierre Guillyaume Girau" épousa Marie Jeanne Crépine Belluchet. A part le fait que les mères de deux époux étaient soeurs, on peut remarquer que les deux pères étaient migrants : Pierre Giraux, scieur, venait du Forez et Jacques Péluchet, maçon, venait de St Goussaud, en Creuse.

Traces des scieurs de long et terrassiers

 

Comme le précisait Félix Bourquelot en 1870 : "Thiérachiens: Charretiers qui mènent à Provins le bois de la forêt de Chenoise dans de longues voitures traînées par de petits chevaux à demi-sauvages, vivant dans la forêt et ne connaissant guère l'écurie." Les Thiérachiens débardaient avec des chevaux; inventaires après décès et ventes d'attirail le prouvent; au contraire des galvachers du Morvan qui oeuvraient aussi en Ile de France, quoiqu'il ne se soit trouvé aucun "voiturier bourguignon" en forêt de Villefermoy. (A retrouver dans le dossier sur les voituriers en bois, et sur la carte où les puces vertes correspondent aux Thiérachiens, les rouges aux galvachers, les jaunes aux charbonniers, les bleues aux gens de rivière bourguignons, flotteurs de bois etc...)

Galvachers et Thiérachiens, 21° page du dossier sur les voituriers en bois
Galvachers et Thiérachiens, carte de localisation en Brie sur Google Maps

Même si leurs métiers du bois ne les avait pas rapprochés, scieurs et voituriers ne pouvaient s'ignorer, habitant presque tous le gros hameau des Montils, plutôt que le bourg. Edmé Tissot a vu comment opéraient les "Tirachiens", leur travail avec les chevaux. Alors, le Forézien acheta un attelage à un voiturier. Et, comme quelques années plus tôt où il avait récolté une amende pour vagabondage de boeuf, en 1811, il prendra une nouvelle prune, pour vagabondage de chevaux, cette fois-ci, divagation bien "tirachienne" : " petits chevaux à demi-sauvages, vivant dans la forêt et ne connaissant guère l'écurie" ...

 

Edmé n'était pas très riche, pas très pauvre, non plus. Il se maria trois fois, dont deux avec des soeurs, filles d'un berger des Montils. Pour le premier mariage, le contrat fut passé en septembre 1793 alors que la cérémonie n'eut lieu qu'en avril de l'année suivante, Edmé apportait 536 livres et Marie Adélaïde Lepanneau 250. Total 786 livres. Au second contrat passé une semaine avant les épousailles avec la seconde soeur Lepanot, il n'avait plus que 250 livres. Papa Lepanot remit deux cent cinquante livres: 675 pour le couple. Pour le troisième mariage, contrat signé une quinzaine de jours avant le mariage, il disposait de la même somme que pour le premier, plus cent francs de douaire; la mariée qui n'était plus de la même famille apporta la même somme de deux cent cinquante livres, devenus Francs pas encore Germinal puisqu'on était qu'en septembre 1802 : total 796 F. Le contrat de 1802 précisait qu'en cas de veuvage, le survivant aurait droit à "linge, lit garni, commode ou armoire vuide... si c'est la future bagues, joyaux, gobelet d'argent s'il y en a ... si c'est le futur, sa tasse, boucle et montre d'argent... Conviennent les futurs que les deux enfans du second lit du futur, et celui de la future, seront nourris, logés, couchés, chauffés, blanchis, éclairés et entretenus tant en santé que maladie, aux frais de la future communauté jusqu'à l'âge de quatorze ans... Les frais de nourriture et entretien évalués la somme de cent francs par an."

Le couple empruntera mille francs, sans intérêt, à Nicolas Pupin en 1807 en hypothéquant la maison qu'ils venaient d'acheter aux Montils et tous leurs biens, déjà hypothéqués en faveur de leurs enfants, héritiers des précédents époux: "...leur maison de trois travées située aux Montils commune de la Chapelle Rablay ... tenant au levant à une propriété qui appartient aux enfans mineurs dudit Tissot, au couchant sur la rue qui conduit à Nangis, au Midy, sur la Rue de Melun et du Nord à un Clos appartenant auxdits mineurs... un clos entouré de hayes vives 21 ares 10 ca, cinquante perches... un autre clos... " Cette maison de cinquième catégorie cadastrée A 306 en 1832 existe encore, le petit fils d'Edmé Tissot, François Victor Bertin l'avait modifiée en 1868.

21 octobre 1807 minutes du notaire Tartarin AD 77 273 E 31

 

 

La mort de Nicolas Pupin en 1808 retarda peut être l'achat d'un attelage complet de Tirachien que les Tissot achetèrent en 1809 pour 1.040 francs à payer en cinq termes, sans intérêts, jusqu'à la Saint Martin 1811. A noter que Louis Meunier, le vendeur, était certainement meilleur négociateur que le couple Tissot/Voulminot, puisqu'il leur vendit au prix fort un chariot, un poulain et sept juments qui n'étaient pas de première jeunesse, dont une avait "le pied gauche de devant tourné". Le brave Louis Meunier avait profité de la vente aux enchères Pupin pour se procurer un chariot pour 120 francs et des juments pour un prix dérisoire, entre 10 francs pour "une jument sous poil noir garnie de son collier et trez" deux autres à une vingtaine de francs pièce, la plus chère: "une jument sous poil rouge bay mis à prix par le citoyen Boulogne à Villeneuve les Bordes & adjugé au citoyen Meunier moyennant 31,50 F". On est bien loin du millier de francs déboursé par Edmé Tissot pour un chariot, sept juments et un poulain. minutes du notaire Tartarin AD 77 273 E 31

Doc: achat d'un matériel de voiturier par Edmé Tissot le 29 janvier 1809
Les chevaux des voituriers et leur valeur, 16° page du dossier sur les Thiérachiens

Les chariots des voituriers, 17° page du dossier sur les Thiérachiens

Scieurs et terrassiers, migrants ou locaux, se fréquentaient. Ils avaient aussi des relations avec d'autres groupes de migrants. Quelques actes prouvent la rencontre de ces marcheurs au long cours.
Le 12 mars 1890 est décédé près d'un hangar de la ferme des Moyeux, le château de la Chapelle-Rablais, Jean, environ 62 ans (admirons la précision dans l'approximation), célibataire, "originaire de l'Auvergne, chaudronnier ambulant, sans domicile fixe, dont le nom, le lieu et la date de naissance ainsi que la filiation nous sont inconnus". État Civil, la Chapelle Rablais AD77 6 E 92/6
Est-ce un hasard si l'un des témoins était Fleury Gabriel Villard, scieur de long, et frère germain de l'introuvable petite Marie. La sécheresse de l'acte d'état civil fut complétée par un article dans la "Feuille de Provins" du 15 mars 1890 :

"... Mercredi 12 mars, des compagnons de culture, partant à leurs travaux dans les champs, trouvèrent le cadavre d'un homme étranger à la région et qui était mort près d'un hangar de la ferme des Moyeux... l'homme avait dû succomber dans la nuit à une congestion cérébrale... D'après les renseignements recueillis sur cet étranger, qui n'avait aucuns papiers sur lui permettant d'établir son identité, ce serait un nommé Jean Chavide ou Chavire, âgé de 64 ans environ, chaudronnier ambulant, originaire de l'Auvergne. Roulant à droite et à gauche dans les campagnes, Chavide était depuis deux jours à la ferme des Moyeux. Il avait dit à plusieurs personnes qu'il était fixé à Montereau, où il payait sa patente et qu'il avait une soeur habitant Villeneuve la Guyard..."

Il me semble tout à fait probable que ledit Jean Chavide ou Chavire ait conversé, avant sa mort soudaine, avec des "pays", dont le scieur Fleury Gabriel Villard, et, au fil de la conversation révéler les quelques éléments repris dans l'article. "Chaudronnier ambulant.... roulant à droite et à gauche dans les campagnes", aurait-il aussi donné des nouvelles de compagnons disséminés alentour?
Les campagnes étaient parcourues de forains qui, allant de village en village, servaient de gazette. Les passeports conservés à la Chapelle Rablais n'ont pas gardé la trace de tous ceux qui y transitaient, par le simple fait qu'ils n'avaient aucune raison particulière de faire renouveler leur pièce d'identité dans cette petite paroisse. Dans la liasse d'Egreville, on découvre certains de ces petits métiers: montreur de lanterne magique, chiffonnier, bimbelotier, colporteur, deux artistes acrobates vieillissants, sans domicile fixe, un marchand d'images et joueur d'orgue, un mètre trente sept, barbe rouge et pied bot, cheminant avec femme et enfant...

En 1811, Edmé Tissot est devenu tellement "Tirachien" qu'il demande un passeport pour l'intérieur, non pour se rendre à l'Hôpital le Grand, Loire, où il a ses origines, mais à Momignies, département de Jemmapes, où sont rattachés tant de voituriers thiérachiens. N'ayant aucune famille dans la botte du Hainaut, pourquoi s'est-il rendu à Momignies? Peut être pour régler ses dettes.

L'attelage devait être payé à Louis Meunier, par tiers jusqu'au 11 novembre 1811, jour de la Saint Martin où se réglaient de nombreuses dettes. Pas besoin de se déplacer pour payer l'achat de l'attelage, Meunier et Tissot étaient voisins aux Montils; d'ailleurs, Louis Meunier n'était pas Thiérachien, né à Châteaurenard, dans le Loiret, non loin de Montargis.

Restait l'emprunt auprès du voiturier, il était prévu de le régler par tiers jusqu'au "jour de l'an mil huit cent dix". Nicolas Pupin, décédé, sa soeur Marie Catherine Pupin héritait de ses très maigres effets (au hameau aujourd'hui disparu des Trois Chevaux, à la Chapelle Gauthier, le voiturier vivait de très peu) et de ses rondelettes économies (3.688,78 francs net) et quittances. L'époux de Marie Catherine, Antoine Joseph Bourguignon et un beau-frère, Jean François Lecoyer avaient fait le déplacement depuis Beauwelz, paroisse proche de Momignies, pour régler la succession, logeant une quinzaine de jours au Petit Vincennes, autre hameau disparu, chez la veuve Roubault, puis étaient repartis, accompagnés de quelques chevaux.
Edmé Tissot, comme d'autres proches, ne passait pas par les banques, préférant un marché de gré à gré scellé par un notaire. Les paiements devaient se faire de la main à la main, ou au porteur, comme le montre cette transaction entre voituriers :

"Fut présent S. Joseph Germain voiturier par terre demeurant à la Chapelle Gauthier, chez le S. Devin le jeune aubergiste demeurant audit lieu Lequel à par ces présentes cédé transporté & abandonné de cejourd'hui, avec promesse d'en faire jouir & garantir de tout empêchement généralement quelconque à Jean Baptiste Delchande aussi voiturier demeurant ordinairement à Montmigni pays Henault et étant ce jour à ladite Chapelle Gauthier à présent acquéreur ce acceptant. L'effet et droit d'un billet de la somme de cinquante une livres qui reste à payer sur plus grande somme dont va être parlé, qui lui à été cédé par Pierre Houdion voiturier demeurant à Dammartin sous Tigault en datte du premier aoust mil sept cent quatre vingt dix... un autre billet de cent cinquante livres fait par Philippe Benson au profit dudit Houdon, en datte du douze novembre mil sept cent soixante dix sept...."

Jai souscigné reconnoit aitre redevable de la some de saintquante et une livre dont je promet pejer a pierre audions residant a dont martiens sur tigaut a la saint jans baties de lannait de 1778 fait a maux le 12 nauvembre 1777 Philippe Benson

Je donne moi pierre houdion plin pouvoir a Joseph Germain thirachin de recevoir la somme de cinquante et une livre dû par philipe Benson portée par ledit billet fait le premier aous mil sept cent quatre vingt dix" minutes du notaire Baticle la Chapelle Gauthier AD77 273 E 23 n°114

 

 

Edmé Tissot avait-il déjà apuré ses dettes, n'avait-il pas eu l'occasion d'effectuer un "transport de billet" avec un Thiérachien retournant à Momignies, ou bien avait-il fait le long déplacement pour régler le reliquat de l'emprunt ? Ce n'est qu'une hypothèse pour essayer de justifier ce long voyage (plus de deux cents kilomètres par Soissons, Laon, Vervins....) dans une contrée où il n'avait aucune attache.

 

 

Ces petites tranches de vie ont montré les rapports des migrants entre eux, quelqu'aient été leur origine et leur profession, à l'exception cependant, des maçons limousins, plus solitaires. Dans la page suivante, j'essaierai de montrer les liens qui pouvaient se créer entre les scieurs et les locaux.

 

 


  Relations des scieurs avec les paysans

 

A la Chapelle Rablais, parmi les deux cents documents, environ la moitié concerne des locaux : bergers, meunier, maréchal ferrant en apprentissage, marchands de moutons, châtelain, curé. Les migrants ont aussi laissé leurs traces : scieurs, maçons, voituriers. Et un colporteur, un ramoneur, des batteurs en grange, des tailleurs d'habits, des cordonniers-émouleurs, des marchandes de sangsues et deux couples de forains apparentés aux charbonniers de la forêt d'Othe allaient de foire en foire pour proposer leurs bagues miraculeuses de Saint Hubert, censées préserver de la rage... Tout un petit peuple qui passait de village en village, de ferme en ferme pour proposer leurs services et propager les nouvelles.

Charbonniers et forains, les bagues de Saint Hubert
Les passeports pour l'interieur à la Chapelle Rablais, liste...

A dire vrai, les "Tirachiens" en forêt de Villefermoy avaient plutôt leur origine dans la botte du Hainaut, autour du bourg de Momignies. Plusieurs familles s'étaient fixées dans les villages autour de l'ancienne forêt de Barbeau et il semblerait qu'ils aient peu à peu acquis le presque monopole du débardage, à tel point qu'un débardeur en bois était qualifié de "Thiérachien", quand bien même il était né en Brie.

"Vilaige de Monmigny", besogné de Croy XVII°s.

Si le métier de scieur de long avait semblé moins contraignant que celui de colporteur de parapluies à François Maury, celui de voiturier avait tenté un scieur du Forez. Sans abandonner son métier de scieur de long, Edmé Tissot se diversifia en débardant le bois de la forêt proche.

Le 29 brumaire an IX, 20 novembre 1800, le "garde fonds de propriétés des citoyens Moufle" surprend Edmé Tissot "à se chauffer près d'une loge avec son chien", extrait déjà cité dans ces pages. Penchons-nous sur l'objet du délit : "il a trouvé quatre boeufs sous différents Poils et âges appartenant au citoyen Edmé Tissot manouvrier demeurant aux Montils, commune de la Chapelle Arablais, qui étoient à même ledit Bois à le manger et le brouter." Qui pouvait avoir l'usage de quatre boeufs? Un riche laboureur, ce qu'Edmé Tissot ne fut jamais ? Ou bien un débardeur, menant les bûches de la forêt aux ports, sur la Seine. De nombreux "beutiers" ont laissé des traces dans la toponymie, marquant les chemins qu'ils empruntaient, à égalité avec les "Thiérachiens", à retrouver à la 18° page du dossier sur les voituriers tirachiens...
Jugements de simple Police, Nangis, UP 2314

Beutiers et Thiérachiens, chemins et ports

Les "Thiérachiens" avaient la spécialité de débardage dans certaines forêts de Brie; dans "Le patois briard, notamment de la région de Provins, 1930" Auguste Diot en donne la définition:
"Tirachien, débardeur d'arbres en grume dans les forêts, amenant ensuite ces arbres dans les gares ou dans les chantiers de bois au moyen de chariots ou de fardiers. L'origine de ce nom vient de ce que beaucoup de ces gens sortaient autrefois de la Thiérache. Ils avaient des petits chevaux ragotins se dispersant dans la forêt pour chercher leur nourriture et rappliquant au galop auprès de leur maître lorsque celui-ci les rappelait en lançant des coups de sifflet entre ses doigts."
"Ragotin cheval de taille moyenne, mais solide, bien fait, nerveux."
Les enfants sur leur passage chantaient cette comptine:"Tirachiens, tiraloup, tire la queue du loup!"
Comptine: Almanach le Briard, Coulommiers 1887

Seule une fille de quatorze ans, Marie Villard, a laissé une trace sur le passeport de son père. Marie Daragon, épouse de Fleury Villard était décédée en 1825. Les orphelins avaient dû être confiés à Catherine Villard, au hameau de Sommériecq, commune de Luriecq, car c'est chez sa tante que le petit Jean, 9 ans, décéda en avril 1826. Ayant perdu ses attaches en Forez, le scieur se fixa en Ile de France. En septembre 1826, il épousa une Briarde, en 1829, il retourna une dernière fois à Luriecq d'où il repartit avec la petite Marie, 14 ans.
J'ignore ce qu'a pu devenir cette petite Marie; en partant sur ses traces, j'en ai croisé une autre, elle aussi née en Forez, épouse d'un migrant et venue s'installer non loin de la Chapelle Rablais, à Montereau.

A la recherche de Marie Villard / Michel Buthion, ouvrier faïencier à Montereau

Avant de refermer cette page, quelques nouvelles de la petite Marie Villard, venue avec son père depuis le Forez jusqu'en Brie. On l'avait quittée en 1829, adolescence de quatorze ans. En 1838, on sait qu'elle donna vie à une petite Marie Aline, mais on ignore qui fut le père, et où elle accoucha; Marie était alors âgée de 23 ans.
Marie Aline fut confiée à Fleury Villard, son grand-père. En 1841, elle figure dans le recensement de la Chapelle Rablais : famille 19: Villars Fleury, scieur de long, Peccard Marie-Marguerite sa femme, Villars Fleury, Marie Aline, sa petite fille, enfant naturel. On notera qu'elle ne porte pas de nom de famille. Le trouvera-t'on sur son acte de naissance ? Elle est encore présente au recensement suivant, 1846 où l'on apprend qu'elle est alors âgée de huit ans, le terme "enfant naturel" ne figure plus et Marie-Aline porte le nom de Villars. Ensuite, on ne la trouve plus dans les recensements, ni dans l'état civil.
Reste maintenant à trouver le lieu de naissance de la petite fille et les traces de la mère depuis 1829 et de la fille après 1846...
Merci pour tout renseignement