Chasses chez le comte
Greffulhe/3
9° page du dossier sur la chasse
Autre
son de cloche chez Edmond Siméon, maître d'école à
Echouboulains: "Entourée de toutes
parts par les bois, la partie cultivée est dévastée par
le gibier de toute nature qui y pullule. Lapins cerfs et sangliers détruisent
annuellement le tiers de la récolte et les indemnités accordées
aux quelques pauvres cultivateurs sont nulles ou dérisoires."
Echouboulains jouxte un autre territoire appartenant aussi au comte
Greffulhe: la Grande Commune, où il menait une seconde vie, y ayant
installé Marie-Thérèse de la Béraudière,
maîtresse presqu'officielle. Le père Gérôme révélait
que les dégâts dûs au gibier y étaient plus importants
encore qu'au hameau de Glatigny de Fontenailles: "Que
n'allez vous voir du côté de la Grande Commune, route de Nangis
à Fontainebleau! Il paraît que par là, c'est encore pire."
On ne peut connaître l'avis de l'instituteur de Fontenailles,
la monographie de sa commune n'est pas disponible aux Archives. A la Chapelle
Rablais, A. Martin note que le sol "est bien cultivé
et assez fertile; malheureusement les lapins et autres animaux nuisibles causent
de grands dégâts et sont un véritable fléau. Il
produit toutes sortes de céréales: blé, seigle, orge,
avoine, sarrasin, ce dernier étant consommé sur place par les
faisans"
monographies AD77 Saint Ouen 30 Z 381 / Echouboulains 30 Z 152 / La Chapelle
Rablais 30 Z 80
Monographie de l'instituteur de la Chapelle Rablais 1889 sur ce site
A Glatigny: "Sur le chemin herbu que
l'on suit et où ne passe plus personne, c'est tout noir de crottes
de lapins, comme si une armée de ces bestioles y avait séjourné....
L'herbe des chemins et des champs est tellement piétinée,
foulée, souillée par toutes ces bêtes de chasse que
les vaches n'en veulent plus...”
le Briard, 25 octobre 1892
Que faire des milliers de faisans tués? Les donner? A la Chapelle Rablais, le conseiller municipal Lepanot avait noté dans son carnet les distributions de faisans aux indigents: vingt sept bénéficiaires en 1902; vingt neuf en 1903. Les vendre? "envoyer chaque semaine au marché une ou plusieurs voitures de gibier" En faire des cadeaux électoraux? "Croit-on, par exemple, que ces grandes maisons qui distribuent force gibier aux personnages influents de la localité et aux fonctionnaires de tous ordres ne font pas ces largesses dans l'intention de se rendre favorables tous ceux qui en profitent et ne sèment pas pour récolter? "Levesque
Pourtant, tout le gibier tué
ne fut pas ramassé par les gardes, ainsi que le prouve la rencontre
faite, à la fin du jour, par le garde champêtre Florimond Gresle.
Voyant deux hommes arriver par un chemin vert, lesquels cherchaient à
prendre de l'avance pour rejoindre la route, le garde champêtre s'avança
et remarqua l'un d'eux, porteur de trois faisans encore chauds accrochés
sous ses vêtements.
Interpellé, il déclara s'appeler Victor Guillory, âgé
de 63 ans, rentier à Saint Ouen. D'après lui, la terre était
couverte de gibier, si bien qu'il avait fait comme beaucoup d'autres personnes,
il avait ramassé trois faisans parmi les plus beaux, surtout à
cause de leur beauté.
M. Victor Guillory ne fit aucune difficulté de reconnaître son
tort, devant un garde du domaine, et restitua le gibier. Il ajouta que parmi
ceux qui l'avaient imité, il ne connaissait personne, et que d'ailleurs,
sa conscience lui défendait de les dénoncer.
C'est une bonne action dont il lui sera tenu gré, sans doute; mais
qui prouve combien sont réprouvés les agissements des délateurs
qui dénoncent leur prochain. Procès verbal a été
dressé. Le Républicain, décembre
1905 AD77 PZ 54/2
Les colonnes du Républicain abondent de petits articles sur des
braconniers à l'amende, petits voleurs découverts, vagabonds
menés au dépôt de Melun... montrant bien que ceux qui
attentaient à la propriété privée étaient
retrouvés et sévèrement châtiés, même
ce brave Guillory, coupable d'avoir glané des faisans. Les gardes
des comtes Greffulhe, père, fils, oncle, furent souvent à
l'honneur:
"Sou Henri-Céleste, 27 ans, demeurant
à Fontenailles, est poursuivi pour délit de chasse à
la requête de M. le comte Greffulhe... Le garde Piat apercevait, sortant
des broussailles, trois hommes dont un militaire. Deux d'entre eux étaient
porteurs de fusils. M. Piat ne reconnut, dit-il que Sou, auquel il cria:
Ne te sauve pas, Sou, je te reconnais..." Il est condamné
à 16 fr. d'amende et 25 fr. de dommages intérêts.
Dans les bois entre la Chapelle Rablais et Fontenailles... le sieur Davesne,
garde de MM. Greffulhe, s'embusque, le 27 octobre, dans la nuit... bientôt
apparaît Joseph Pacon, âgé de 59 ans, manouvrier; il
avait un lapin à la main. A la vue du garde, il le fait disparaître
dans son carnier... Interpellé, le braconnier répondit au
garde que ce n'était pas lui qui avait tiré... Comme le coup
de fusil n'a pas été tiré dans les bois confiés
à sa surveillance, le garde porta le fait à la connaissance
de la gendarmerie de Nangis qui verbalisa... quatre vingts jours de prison,
50 francs d'amende et aux dépens.
"Un lièvre fut tué récemment
à Fontenailles par M. Praly... les gardes de M. le comte Greffulhe
reconnaissent bien que M. Praly tira sur son terrain, mais que le lièvre
continua sa course et vint tomber sur les terres de la propriété
de Bois Boudran où M. Praly serait venu le ramasser. Maître
Bastien, qui se porte partie civile pour M. le comte Greffulhe, demande
50 francs de dommages intérêts..."
"Des volées de 60 à 80 perdreaux
s'enlevaient tranquillement. Quand les faisans sortent des bois, il y a
des pièces de terre qui en sont rouges. Je me souviens notamment
d'un chemin herbu qui conduit à l'ancien moulin de Villefermoy et
sur lequel il y en avait tant et tant que je me demandais si je n'étais
pas au milieu d'une immense basse-cour de faisans. Les bêtes nous
passaient dans les pieds, nonchalantes et moins pressées assurément
que les poules et les dindons dans une cour de ferme."
Le Briard, 22 octobre 1892
En 1889, année où tous les maîtres d'école ont
été "invités" à rédiger la
monographie de leur commune, Emile Martin s'émerveille de l'abondance
de gibier à Saint Ouen en Brie, bordant le parc de Bois Boudran :
Le gibier rescapé des chasses savait bien où trouver la meilleure
nourriture, hors les postes d'agrainage: plutôt que de fouiller les
bois, lièvres et faisans n'avaient qu'à se servir dans les
jardins et les champs proches dans "un blé
qu'on n'a pas daigné récolter parce qu'il était trop
mangé par le gibier..."
" Un jour du mois d'octobre 1890, un cultivateur de mes amis était
occupé à faire ses semailles à proximité d'un
bois dont le propriétaire apparaît tout à coup: "Que
faites-vous là ?" "Du blé, Monsieur!" "Comment
du blé si près de mon bois? Mais vous savez bien que mes lapins
le mangeront! et vous croyez que je vous paierai un sou d'indemnité!
Ah! pour le coup, non, mille fois non, vous pouvez vous fouiller."
Levesque
La Loi qui prévoyait des indemnités de gibier était respectée à Champ Brûlé: "A deux pas de Bois Boudran, chez M. Hottinger, tout est au contraire si bien tenu que vous n'entendrez personne contester quoi que ce soit. Il y a trois estimations de récoltes: l'une à la levée, l'autre au mois de mars, la troisième au moment de la moisson et personne ne se plaint, car tout est fait correctement et les cultivateurs sont payés rubis sur l'ongle." le Briard 28 juillet 1893
Il n'en était pas de même à Bois
Boudran où les choses traînaient en longueur: "L'affaire
a duré depuis le 7 août jusqu'au 24 novembre, et tant de Saint
Ouen à la régie de Boudran, puis chez le garde chef Marmet,
puis à Mormant, j'ai fait quatorze voyages à plusieurs lieues
de distance. Pour toucher 24 francs, j'ai perdu dix jours de mon travail.
-Et pourquoi donc à Bois Boudran, vous crée-t'on tant de difficultés
pour vous payer votre dû, demandai-je.
-Parbleu, pour dégoûter les gens! Ceux à qui la Maison
doit quelque chose ne cherchent même plus à être soldés
tant les rebuffades les fatiguent."
Le comte Greffulhe était secondé d'un régisseur qui
menait les affaires du domaine d'une main de fer. "
Oh! si "la Grande Moustache" le savait !" "La Grande
Moustache" c'est ainsi qu'on appelle M. Levasseur, le régisseur
de Bois Boudran, redouté et détesté encore bien plus
que M. Greffuhle...
La Grande Moustache l'a dit à un tel: "Nous sommes le pot de
fer, vous n'êtes qu'un misérable pot de terre… Nous vous
briserons." Et en disant cela, on imite la voix de la terrible Grande
Moustache…
Que de fois j'ai entendu de pauvres gens s'écrier: "Oh! allez,
monsieur le comte ne sait pas tout ce que cet homme- là nous fait
endurer."
le Briard, 22 octobre 1892
Ceci rappelle étrangement les doléances
sous la Capitainerie: "Nous vivons sous
un prince ami du bien & le père de ses sujets... Sa majesté
ignore certainement tous les abus qui se commettent, sous son nom."
Henri Levasseur faisait partie d'une famille de régisseurs et de gardes; son père était garde de la forêt de Laigue, toute proche du château du Francport, appartenant au beau frère d'Henry Greffulhe; "Grande Moustache" épousa Marie Opportune Ricard, qu'il dut connaître à Saint Léger aux Bois, à la lisière de la forêt de Laigue mais qui, à l'époque du mariage, résidait avec son père, garde particulier à Favières, fief des Rotschild dont un représentant épousera Elaine, fille du comte. La soeur d'Henri Levasseur, Marie Octavie, épousa le fils du régisseur du château de Marolles en Brie, proche de Coulommiers. Les riches chasseurs se fréquentaient de château en château; domestiques et intendants faisaient de même.
Rares étaient les villageois à pouvoir profiter -légalement- de cette abondance de gibier. Il fallait posséder un permis de chasse au tarif dissuasif, le même pour petits et grands chasseurs: "Et puis, pourquoi ... nous fait-on payer ... vingt-huit francs tout comme aux grands propriétaires d'à côté, qui chassent dans d'immenses domaines?" Louis Levesque La chasse & la Grande Propriété en Seine et Marne 1891 Vingt huit francs, soit deux semaines de salaire moyen pour un ouvrier agricole! De plus, depuis 1844, il fallait être inscrit au rôle des contributions, autrement dit, être propriétaire, et chasser sur ses terres. La chasse était donc interdite aux manouvriers qui constituaient la majorité des paysans de la Chapelle Rablais.