Chasses chez le comte Greffulhe/4
10° page du dossier sur la chasse

La famille Greffulhe menait grand train, tant à Paris qu'à la mer (Dieppe) ou à la campagne (Bois Boudran à Fontenailles, le château de la Rivière, à Thomery), pour l'entretien des résidences et les réceptions d'invités prestigieux.
Son goût immodéré pour la chasse entraînait le comte Greffulhe à d'autres dépenses: il fallait acheter et entretenir les deux meutes, soit une centaine de chiens, les chevaux destinés aux chasses à courre, les piqueurs, les gardes... Sans compter le renouvellement du gibier puisqu'il s'en tuait de vingt à vingt cinq mille pièces. Une vente d'une partie de la chasse en 1920, ne couvrant que 70% de ces dépenses rapporta 140.000 francs; Henry dépensait donc pour sa passion 200.000 francs par an, après-guerre, beaucoup plus auparavant. Monographie de Fontenailles par Ghislaine Harscoet

Les faisans, faciles à plomber, sortaient des faisanderies où ils étaient nourris par ceux qui allaient bientôt les rabattre vers les riches chasseurs.
Mais quelquefois, "la Maison" poussait le raffinement jusqu'à offrir à ses prestigieux fusils, du gibier sur mesure: "Pour recevoir deux Altesses étrangères (un Grand Duc de Russie, précise l'article de La Justice), il a fait venir de Hongrie, par grande vitesse, quatorze mille perdreaux, et pendant toute la semaine les gardes les ont poursuivis dans toutes les parties de la propriété, afin de les habituer au pays, en même temps de les rendre fuyards, d'en faire ce qu'on appelle de beaux oiseaux, difficiles à atteindre: tandis que dans certaines chasses, le gibier, apporté le matin même de la battue, a des indolences de volaille de basse-cour. Chaque perdreau hongrois revenait à cinq francs."
Soit 70.000 francs de perdreaux pour une seule chasse.
Le salon de la Revue des Deux Mondes 1930, reprenant un article de "La Justice", journal de Clémenceau du 2 & 3 novembre 1904

"Vos plaines sont remplies d'immenses carrés de sarrasin (nourriture des faisans), sans compter de nombreux couverts savamment préparés pour tenir à l'ombre et au frais les bienheureux faisans, dignes de toute votre attention; chacun de vos gardes répand chaque jour dans vos bois cent vingt-cinq à cent cinquante litres de grain, soit, par an, neuf mille hectolitres, c'est-à-dire plus que n'en produisent vos dix-huit ou vingt fermes réunies, quand les gens du pays manquent de pain et grelottent auprès d'un foyer sans feu." La chasse & la Grande Propriété Louis Levesque 1891 AD77 AZ6619/1

Henry Greffulhe mettait en avant son action en faveur de l'agriculture: "Vice président du comice agricole des arrondisssements de Fontainebleau, Melun, Provins de 1888 à 1900, président dudit comice agricole depuis 1900, membre de divers comités d'admission, de la Commission supérieure des Expositions retrospectives et du jury au Concours international d'animaux reproducteurs et à l'Exposition universelle de 1900..." précise son dossier d'officier de la Légion d'honneur lequel, à part ses activités politiques, ne fait ressortir comme "services extraordinaires rendus par le candidat" que la vague mention: "améliorations foncières et culturales dans les domaines de la Grande Paroisse (en fait: la Grande Commune) et de Bois Boudran" Base Léonore

A la Chapelle Rablais, la ferme de Tourneboeuf, dépendant du château des Moyeux avait été mise à l'honneur après visite de la "Commission du jury des améliorations agricoles" qui avait félicité la châtelaine: "Aussi notre commission a décidé que Madame Rigault a bien mérité, pour ces grandes dépenses, qu'elle ne craint pas de faire pour l'amélioration du sol et le bon exemple qu'elle donne à de nombreux propriétaires, nous demandons la plus haute récompense pour Madame Rigault. Le Rapporteur, F. Odot" Il est vrai que Tourneboeuf était devenu une ferme moderne, comme le montre le catalogue édité quelques années plus tard, pour la vente du domaine.
Comice de 1910: Le Républicain de Seine et Marne, 16 juillet 1910 AD77 PZ 54/19

"Pars: Ferme située sur la lisière des communes de Nangis et de Fontenailles, à laquelle ont été réunies les terres de la Chaussée, de Courpitois et de Malnoue supprimées... Pars fait partie du domaine de Bois Boudran; M. le comte Henri Greffulhe en avait fait une ferme modèle." "Monsieur Greffulhe seul, emploie trois cents ouvriers dans sa propriété de Bois Boudran." Les nouvelles techniques culturales à la manière des Anglais ont valu à Bois Boudran une réputation de modernité, mais ces extraits citent Henri, l'oncle et Jean Louis, le grand père d'Henry. Qu'en était-il à Bois Boudran et sur les autres terres du comte, 70 ans après la mort du grand père novateur?
Citations: Pars: Ernest Chauvet, Nangis / Ouvriers: Moniteur Universel 20 décembre 1816

A part de beaux discours et des titres ronflants, Henry Greffulhe a-t'il oeuvré pour l'amélioration de l'agriculture? S'il faut en croire le Père Gérôme, A. Vernant, directeur du journal le Briard, le comte Greffulhe ne comptait absolument pas sur le produit de ses fermes:
"Le rêve de M. Greffuhle serait assurément que tout le département de Seine et Marne fût converti en une immense terre de chasse appartenant à lui seul et à quelques autres gros propriétaires comme lui. S'il consent à avoir des fermes et des fermiers, c'est absolument pour la frime, pour donner le change et pour faire croire qu'il ne rejette pas entièrement et de parti pris toute culture sur ses terres. Mais au fond, M. Greffuhle se soucie bien moins d'un cultivateur que d'une volée de perdreaux. Il est très loin de compter sur ses revenus de terre pour soutenir son train de maison ou seulement pour payer les frais de chasse à Bois Boudran."

 

"La Maison est donc bien dure pour ses fermiers gênés ? La-dessus mes gens se mirent à rire...
-Au contraire, dit l'un d'eux, ça l'ennuie quand on la paie trop bien ! Tous l'approuvèrent... Décidément; je ne comprenais plus. Or voici ce qu'on m'expliqua :
"La Maison Greffulhe n'est pas un propriétaire semblable à un autre dont le plus vif désir est que son fermier fasse de bonnes affaires, parce qu'en faisant de bonnes affaires, il fait aussi celles du propriétaire. Non. La Maison Greffulhe préfère un fermier qui ne paie pas à un fermier qui paie régulièrement. Cela peut sembler bizarre au premier abord, mais quand il s'agit de la propriété Greffulhe, il faut toujours avoir présente à l'esprit cette idée de gibier qui y domine tout autre souci, toute autre préoccupation; il faut qu'on soit bien pénétré de cette pensée que, sur Bois-Boudran le gibier est tout et le cultivateur rien; que toute autre considération s'efface devant celle du gibier. Alors on aura l'explication de bien des faits qui, à première vue, paraissent des anomalies étranges. Or le fermier qui paie est un homme indépendant, qui a le droit de réclamer, de discuter, d'exiger même le respect des clauses de son contrat -c'est un gêneur!- tandis que le fermier qui ne paie pas est un malheureux qui n'ose broncher, que la Maison tient dans sa griffe, qui est à sa sujétion, à sa merci, à celle du gibier.
-Mais l'argent des fermages, me dira-t-on, M. Greffulhe n'y tient donc pas?
-Il s'en moque pas mal, vous répondront les gens. Il se moque tellement de ce que pourait lui rapporter la terre, que les trois quarts du temps il la laisse en friches.
Quand un fermier ne le paie pas, c'est comme si la ferme était en friches. Et M. Greffulhe y gagne encore, puisque son gibier se nourrit gratis des récoltes du fermier ! Aussi dans tous les pays que j'ai parcourus, ai-je trouvé cette idée enracinée dans le populaire : La Maison préfère un locataire qui ne paie pas à un locataire qui paie."
Le Briard, 9 décembre 1892

"Vous ne récoltez rien sur vos terres, notre gibier vous mange tout, eh bien, cédez nous vos terres et allez vous-en, afin que nous puissions faire des friches tout à notre aise." Dans son article du 28 juillet 1893 "Chez le député de Melun à Bois Boudran", le père Gérôme résume les "procédés de la Maison": acquérir des fermes pour étendre le domaine de chasse.

 

 

"Villefermoy, rasé; les Ecueulles, rasé; Au Chaillot, rasé; la Garandine, rasé; Au Cuissot, rasé; la ferme de Bois Boudran, rasée; les Ténières, rasé; la Vacherie, rasée; le Jarrier, rasé; le Couvent, rasé et encore deux fermes à Grandpuits, rasées ! ! " Le Briard, 21 octobre 1892
Le père Gérôme ne ment pas, mais il choisit un peu les faits pour soutenir son discours; n'oublions pas qu'il fut l'adversaire politique du comte Greffulhe. Ces hameaux furent bien détruits, mais dans d'autres communes, il en était de même. Peut être pour d'autres raisons: chasse à Fontenailles, regroupement d'exploitations à la Chapelle Rablais où l'on peut établir une liste identique: la Truchonnerie, le Moulin à Vent, les Petites Maisons, les Farons, le Grand Trenel, le Taillis Vert, le Petit Villeneuve, tous rasés au XIX° siècle, sans compter un nombre identique d'écarts disparus avant la Révolution.

Les hameaux disparus à la Chapelle Rablais, carte, tableau, sources

Dans la liste du père Gérôme figure "le Jarrier, rasé"; il ne s'agit pas du hameau partagé entre Saint Ouen et Fontenailles, mais de la ferme du Haut Jarrier, au même lieu. Ce n'est donc pas l'une de ces "vérités alternatives" tant à la mode en ce début de XXI° siècle. Par contre en citant: "Au Cuissot, rasé", le père Gérôme charge un peu la mule d'Henry, qu'il met en cause en 1892, car dès 1841, l'imprimeur Michelin notait à Grandpuits: "Hors du village, la ferme de Feuillet appartient au général Saint-Laurent, celle de Cuisseaux, moitié démolie, aux mineurs Greffulhe; celle des Pleux, au général Du Taillis". Les Greffulhe cités étaient le père et l'oncle d'Henry, mineurs à l'époque.
Michelin: Essais historiques, statistiques sur le département de Seine et Marne.

"J'avais vu les friches de Glatigny; ces jours derniers, on m'a montré celles des Trévois (Voir ci-dessus sur ce plan de 1742: Glatigny, Traivois, la Maison Rouge) qui n'en sont pas loin et je vous assure que c'est encore pis. Il y a plusieurs années que le Maison a acheté cette ferme des Trévois qui comprenait de beaux bâtiments, maison d'habitation, écuries, remises hangars etc., plus, autour de la ferme, 150 hectares de terres presque d'un seul tenant. Presqu'aussitôt l'acquisition, le premier soin de M. Greffulhe fut de faire raser les bâtiments dont il ne reste pas une seule pierre et de laisser toute la terre en friches.... "Ici était la ferme; là, étaient les écuries; là le verger; là, le jardin," me dit mon guide." Le Briard, 6 décembre 1892

On peut présumer que le directeur du Briard ne s'était pas risqué à inventer cette destruction que chaque paysan autour de Nangis pouvait vérifier. Il s'en expliqua d'ailleurs dans l'un de ses articles, le 4 novembre 1892:
" Une haute personnalité de Seine et Marne me disait dimanche: "... Ce n'est pas brodé, arrangé pour les besoins de la cause?
-... Par expérience de journaliste dont la clientèle est la classe rurale, je sais que les meilleures campagnes sont celles qui sont étayées de documents précis... l'exagération lui semble (au paysan) un accroc fait à la vérité et le met en défiance...
-Ah! comme nous autres des classes dirigeantes qui nous piquons cependant d'être des hommes de progrès, nous ignorons le peuple; nous ignorons même ce qui se passe à vingt lieues de Paris."

Le père Gérôme aurait-il pu inventer la construction, puis la destruction d'un château à l'emplacement de la ferme de Maison Rouge, toute proche de Champ Brûlé, qu'il faudrait d'ailleurs aussi imputer à la génération précédente de Greffulhe: "Sur un chemin herbu, je voyais un tas de pierres cassées comme celles que l'on voit amoncelées le long des routes pour réparer la chaussée. Et comme je m'informais: "Ces pierres proviennent des murs d'une maison qui était là et qu'on a détruite, me dit-on." Et ainsi à chaque instant.
Plus loin, on me montre l'emplacement du château et de la ferme de Maison Rouge, bâtis à la porte de Glatigny et aujourd'hui rasés. Le château construit il y a quelques vingt cinq ans était abattu huit ans après, encore tout flambant neuf, et les démolitions ont servi à combler les caves. "Voilà des décombres qui sont revenus cher." me dit-on."
Le Briard 21 octobre 1892

 

La ferme de Maison Rouge semble bien avoir été abandonnée à l'époque indiquée en 1892 par le père Gérôme: " Le château construit il y a quelques vingt cinq ans était abattu huit ans après", donc vers 1867 et 1875. Les recensements de Fontenailles montrent que la ferme était occupée en 1872 par Louis François Ropsy, cultivateur, 42 ans & Mélanie Tisserand, 38 ans, ainsi que Louis Ropsy, 12 ans, mais que le hameau ne figure plus au recensement suivant, 1876. A retrouver à la page suivante...
Recensements 1872 10 M 237; 1876 10 M 268

Résumons: un richissime -et colérique- châtelain faisant passer avant toute chose sa passion pour la chasse, au point de préférer transformer en friches ses terres agricoles déjà mises à mal par la prolifération d'un gibier qu'il lâchait par milliers chaque année; un régisseur qui employait la manière forte pour combler les désirs de son employeur...

On aurait pu croire qu'après le décès de son mari en 1902, madame Rigaud délaisserait la chasse; il n'en était rien. La rénovation des peintures aux Moyeux, obligeant à décrocher les têtes empaillées des cerfs, a montré que l'un d'entre eux, au moins, avait été poursuivi par la châtelaine. Si elle préservait son territoire de chasse, elle n'en oubliait pas pour autant de rentabiliser son domaine agricole.

Doc: la ferme de Tourneboeuf
Doc: brochure éditée pour la vente du domaine des Moyeux

Pas de quoi fouetter un chat! Cela justifie-t'il les dizaines de pages que lui consacra le père Gérôme, directeur du Briard à Provins. Cela justifie-t'il aussi ces pages internet à rallonges que je consacre au châtelain comme à son détracteur, plus de cent ans après?
Mais tout n'a pas été dit, et comme dans les meilleurs feuilletons, A. Vernant garde le meilleur pour la fin (et, l'imitant, je fais de même.)

Voici quelques années, j'avais mal interprété cet arrêté du maire de la Chapelle Rablais du 4 octobre 1886 (six ans avant les articles du père Gérôme), repris dans une note de service de la Sous Préfecture de Provins du 7 octobre:
"Considérant que plusieurs gardes de M. Greffulhe font journellement sur les chemins de la commune et auprès des habitations au moyen de cors et de fouets un tapage assourdissant de nature à nuire à la tranquillité publique et à occasionner des accidents graves aux animaux domestiques qui peuvent se trouver sur les chemins et dans la plaine.
Considérant que ces bruits ont lieu non seulement dans la journée mais encore le matin de bonne heure et le soir à une heure avancée et troublent ainsi le repos des habitants... il est expressément interdit ... aux gardes de M. Greffulhe et à tous autres qui seraient tentés de les imiter, de faire, soit de jour soit de nuit ... aucun tapage qui soit de nature à occasionner des accidents ou à troubler le repos et la tranquillité publiques."

Registre des arrêtés du maire, archives de la Chapelle Rablais.

J'avais vu, dans ce tapage, le charivari de gardes en goguette passant de cabaret en cabaret, lesquels étaient fort nombreux en ce village. A un point tel que le préfet s'en émut en 1851, demandant à la municipalité de modifier la porte de sortie de l'école car les enfants devaient "passer devant ces cabarets dont la maison d'école est entourée, l'un étant à côté, l'autre à environ 10 mètres de distance et le troisième à environ 20 mètres de la maison d'école".
"Meuh non ! fut-il plus ou moins répondu, il ne s'y boit que deux bouteilles de vin par semaine !"
Sur un petit brouillon, le secrétaire établit l'état véritable de ce qui se consommait effectivement dans les cinq débits de boisson de la commune: Tancelin, Garmond, veuve Charron, Lepanot, Million, soit 840 litres de vin, 110 litres de cidre, 65 bouteilles d'eau de vie et 16 de liqueur pour environ 500 habitants. J'avais attribué aux gardes les mêmes performances éthyliques.

Ce tapage était, encore une fois, une affaire de gibier. Les gardes du comte emplissaient la campagne de leur tintamarre, non seulement pour rabattre le gibier vers les terres de Bois Boudran la veille d'une grande chasse, mais aussi pour une raison fort mesquine; suivons encore le père Gérôme, le 25 octobre 1892:

" Vous plairait-il, ce matin, de venir faire un tour de chasse? me demande-t'on. (Des paysans de Glatigny) On décroche les fusils, on siffle Duchesse, une jeune chienne, et l'on part... (sur une parcelle appartenant aux fermiers)
Mais voici que tout à coup, sort d'une hutte et accourt au grand trot, un garçon de ferme armé d'un fouet et qui, bien avant que nous y soyons arrivés, fait le tour de notre pièce en claquant à coup répétés. Une volée de perdreaux se lève... Nous nous dirigeons vers une autre pièce et d'aussi loin que nous apparaissons, voilà le même manège qui recommence: un autre garçon sort d'une hutte et bien vite fait le tour de la pièce en claquant son fouet comme s'il conduisait un troupeau de deux cents vaches à l'abreuvoir. Et mes deux amis m'expliquèrent que chacune de leurs pièces de terre était ainsi gardée par un homme qui, de toute la sacro-sainte journée, n'avait que cette besogne: chasser le gibier des pièces où il se pose, aussitôt que le propriétaire arrive pour le tirer...

J'entre dans la hutte d'un gardien: la porte est tournée du côté de la pièce qu'il a pour mission de garder, afin qu'il puisse apercevoir du plus loin possible les chasseurs qui arrivent. Il y a dans cette hutte, un poêle et une provision de brigots. J'avise un de ces gardiens et je lui demande:

"Combien gagnez- vous par jour?
-Trente sous. (un franc cinquante)
-Vous restez pendant toute la journée?
-Oui… et quand je m'absente, j'ai un remplaçant.
-Et cela vous amuse de faire un métier pareil?
-Que voulez- vous? Il vaut mieux gagner trente sous que crever de faim."

Ainsi, c'est un fort gaillard de 18 à 20 ans, qui, moyennant trente sous, a pour mission de veiller les propriétaires de la pièce de terre, pendant toute une journée, et de claquer du fouet pour faire fuir le gibier de cette pièce, dès qu'ils se montrent au loin. Et ils sont peut être une quinzaine d'individus embauchés tout exprès pour cette besogne!

"Grande nouvelle! depuis samedi, à midi, il n'y a plus de claqueurs de fouet sur Glatigny." put déclarer le père Gérôme le 4 novembre 1892, une semaine après son troisième article. "La Maison a capitulé et, du coup, son prestige est ébranlé, est à terre, aux yeux de tous ces malheureux sur lequels elle pèse. Il s'aperçoivent qu'une puissance nouvelle a fait son apparition victorieuse..." Bien sûr, Henry Geffulhe a fulminé: "Je tuerai le Briard, je ruinerai son directeur", mais il a cédé, peut être sous la pression de son épouse. Il ne postula pas pour un nouveau mandat de député en 1893, mais resta conseiller général jusqu'en 1913.

Capitainerie royale et grand capitalisme eurent le même mépris des trop riches et puissants envers les petites gens. Armand de Gramont, duc de Guiche, gendre d'Henry Greffulhe eut pour le comte presque les mêmes mots que Louis XIV à son agonie:

"Vous devriez faire de vos jeunes des agriculteurs c'est le salut. Les folies somptuaires ont fait leur temps. On ne peut plus gaspiller la terre pour le gibier."
Lettre d'Armand de Gramont à sa femme, citée par Laure Hillerin

Les pratiques dénoncées par A. Vernant sur les terres de Bois Boudran semblent bien avoir aussi eu lieu en d'autres lieux. Chez le baron de Rotschild à Vaux Cernay, près de Rambouillet : "Tout à coup, j'eus la stupéfaction de voir sept ou huit hommes, l'un tapant sur une faulx, l'autre sur un vieux chaudron. Celui-ci faisant choquer entre elles de longues tiges de fer, celui-là secouant des récipients de tôle attachés à ses épaules et remplis de pierres et de clous..."
La dépêche de Toulouse, signé Remo & le Briard 16 déc. 1892

Tout autant que la belle Parisienne plombant le chien plutôt que le lapin, le tapage derrière le grillage semble avoir fait partie des clichés des "belles chasses", on les retrouve en page centrale de "La Vie Parisienne" du 27 novembre 1909, sous le crayon de Maurice Taquay. Ce magazine n'est pas réputé pour sa virulence; il se définit lui-même ainsi: "moeurs élégantes, choses du jour, fantaisies, voyages, théâtres, musique, modes". Le tohu bohu pour empêcher les petits paysans de chasser sur leurs terres fait-il donc partie de ces "moeurs élégantes, de ces fantaisies" ?

lien vers la planche entière sur Gallica (noir et blanc)

A la Chapelle Rablais, la Municipalité pouvait s'opposer au comte, bien qu'il ait eu des terres et trois gardes particuliers sur le territoire communal, car le plus gros propriétaire, maire et châtelain des Moyeux Jean Hubert Debrousse n'avait pas de compte à rendre au châtelain de Bois Boudran. Mais, à Fontenailles, comment s'opposer aux volontés d'un homme qui possèdait la plupart des terres et employait tant de personnes dans la commune, entre le château, les fermes, les piqueurs et les gardes... Henri Greffulhe n'était pas maire de Fontenailles comme l'avait été son père, entre 1855 et 1870. En 1892, année d'élection, les maires furent Charles Bernardeau et Jean Baptiste Moreau; mais une délibération du Conseil municipal de 1888 montre que le comte faisait partie du Conseil, de même qu'Henri Levasseur, son régisseur. Doc: monographie de Fontenailles, Ghislaine Harscoet

Traces de quelques gardes autour de Villefermoy
Chasses et propriétés d'Henry Greffulhe à la Chapelle Rablais

Le comte Greffulhe n'était pas le seul à privilégier la chasse au détriment de la culture. Le Suédois August Strindberg, en visite en Seine-et-Marne, notait : "
"Mais le fermier était heureux et satisfait, car le maître était si gentil. Probablement parce qu’il avait réussi à louer la chasse pour 4 500 F, grâce à quoi il rattrapait sur le fermage perdu. En effet, celui-ci considérait sans doute le fait que la terre n’était pas cultivée comme un avantage pour la chasse. C’est le cas pour de nombreuses propriétés dans les départements avoisinant Paris : la chasse paie plusieurs fois le fermage, au grand détriment de l’agriculture, naturellement, qui est intentionnellement délaissée pour ne pas déranger les perdrix et les faisans, qui sont, en plus, très nuisibles pour les cultures."
Cité dans l'article de Christian Estève "Le droit de chasse en France de 1789 à 1914 Histoire & Sociétés Rurales vol 21
"Nous rentrerons dans le domaine des choses réalisables par la fortune privée, en plaçant sous les yeux du lecteur le budget d'un équipage bien organisé, mais sans luxe et où la qualité des choses est préférée à la quantité. Nous devons les renseignements qui suivent à l'extrème obligeance de M. le marquis de l'Aigle... chenil du Francport."
Premiers frais d'établissement d'un équipage. Composé de 60 chiens plus 5 limiers; un premier piqueux logé, non nourri, habillé, 1.200 F par an), un second payé 1.100 F plus deux occasionnels, deux valets de chiens (1.000 F), un palefrenier (1.200 F), leur habillement, les trompes, les couteaux de chasse; les trois chevaux pour les maîtres (8.000 F), cinq chevaux pour les piqueux, leur harnachement; la construction du chenil, l'achat des soixante chiens anglais (65 F l'un), des cinq limiers (100 F l'un). L'établissement d'un équipage revient au moins à 35.100 F.
Les dépenses annuelles s'élevaient à 18.659 F et 75 centimes, très précisément, dont cinquante francs d'imprévu pour l'entretien des chiens, imprévus aussi : cent cinquante francs pour des chiens ramenés au chenil après avoir été perdus en chasse. La nourriture des chiens à la viande cuite de cheval et à la mouée de farine d'avoine fermentée à raison de 15 c. par jour et par chien; celle des chevaux à 2,5 F par cheval et par jour; le traitement annuel des quatre piqueux et du palfrenier, plus 200 F de gratifications etc etc... Sans compter les frais éventuels de déplacement de l'équipage et les 25% pour l'usure du matériel tel que brides, selles, et le remplacement d'une dizaine de chiens par an...