Le 15 août 1868, profitant de la fête de l'Empereur où "les gardes champêtres avaient l'habitude traditionnelle de manifester leur enthousiasme patriotique plus souvent au cabaret qu'en faisant des rondes de nuit dans les champs... une bande de braconniers, sortie de Paris, devait exploiter dans la nuit du 15 les environs de Mormant." Est-ce l'un d'entre eux qui assassina le garde Dissous, ou est-ce Alphonse Remy qui braconnait aussi ce même soir ? Alphonse, braconnier notoire, fut accusé du meurtre, et très rapidement condamné ...
"L'Empereur avait donné, en 1865, au prince Napoléon, la chasse de la forêt de Villefermoys, près Melun, forêt très giboyeuse et faisant partie de l'Inspection de Paris." Le cousin de Napoléon III avait dû quitter sa chasse de Meudon, trop fréquentée par des promeneurs où sa tendance à plomber un peu partout aurait pu devenir dangereuse. Ayant le choix entre la Champagne et Villefermoy, il choisit notre forêt, peu commode d'accès, mais moins éloignée. La conduite du Prince Napoléon, dit "Plonplon" de se révéla assez particulière:
Le premier hiver tout se passa régulièrement; le prince y
chassait tous les dimanches avec quelques invités, toujours les mêmes.
C'étaient : le baron de Plancy, député de l'Aube; le
commandeur Nigra, les généraux Duhesme et d'Autemarre; M.
Maxime du Camp, l'inspecteur des forêts de la Couronne ; le commandant
Brunet, aide de camp du prince, et le capitaine Villot, officier d'ordonnance.
La seconde année les deux généraux ne vinrent pas.
Ils furent remplacés par Cora Pearl et Mme Claudin, sa dame d'atours.
Le scandale a duré jusqu'en 1870, et n'a cessé que le jour
où parut l'article de Rochefort."
A noter que si le scandale des chasses de "Plonplon"
cessa en 1870, l'abdication de Napoléon III y est peut être
tout de même pour quelque chose !
Plus tard... "C'était par une
belle et chaude journée de septembre. Le prince était venu
chasser à Villefermoys... Un grand nombre de femmes et de jeunes
filles des villages environnants, profitant du repos du dimanche, étaient
accourues pour voir chasser des "Monseigneurs". Tout à
coup le prince Napoléon avise une cabane de bain construite au bord
de l'étang pour l'usage d'un grand propriétaire riverain de
la forêt. Un garde est vite dépêché pour demander
la clef chez M. X*** (Tattet) qui n'ose la refuser; et Monseigneur, au mépris
du qu'en dira-t-on, apparaît bientôt aux yeux du public.
"Nu comme un mur d'église, Nu comme le
discours d'un académicien."
Vous jugez de l'effroi des dames qui se précipitèrent effarouchées
dans leurs voitures, trop justement indignées et scandalisées
! Quant aux villageoises, elles ne bronchèrent. "
La cour impériale à Compiègne, souvenirs contemporains par Sylvanecte 1884
Quand le Prince Napoléon Jérôme
Bonaparte eut reçu Villefermoy, l'énergique inspecteur de la
Rüe transforma ce massif forestier en forêt de chasse, comme il
le montre en 1882 dans son livre "Les chasses
du second empire"; il est dommage qu'il ait omis de dater la plupart
de ses chapitres. "Longtemps Villefermoy fut considéré
à peu près comme une non-valeur au point de vue de la chasse,
bien entendu; son unique importance était le produit forestier, dans
les coupes de bois qu'on y faisait tous les ans."
C'était une forêt touffue: "la forêt
de Villefermoy est très fourrée il y a des enceintes qu'on croirait
impénétrables, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de villages
en France où l'on trouverait des paysans qui consentissent à
les traverser; ici, les rabatteurs passent partout avec un incroyable entrain."
Des battues y avaient été organisées pour "détruire
des sangliers, mais encore de tuer les loups qui inquiétaient la population
des environs." et on y chassait à courre: "Le
vicomte Aguado d'abord, puis le prince Joachim Murat et son beau-frère,
le prince Alex. de Wagram, avaient été autorisés à
y chasser le cerf et le sanglier." En 1870, Onésime Aguado,
très riche héritier résidant au château de Sivry-Courtry,
avait pris l’adjudication de Fontainebleau, à la suite de la
Vénerie impériale. Les deux frères Aguado ayant été
des pionners de la photographie, il serait curieux qu'ils aient pris quelques
clichés en forêt de Villefermoy.
Le "Rallye Sivry" d'Onésime Aguado sur "Mémoire des équipages"
"Je proposai d'établir un budget des dépenses inhérentes à la chasse de Villefermoy. Cette pièce sur laquelle figurait un chiffre relativement élevé, me fut renvoyée approuvée, sans un centime de réduction." De la Rüe organisa les chasses d'une manière très rationnelle avec layons, plans en couleur, emplacements numérotés pour les rabatteurs et consignes très strictes. Il éleva des faisans et tenta même l'introduction de la pintade: "Très disposé, par nature, à faire des expériences toutes les fois qu'elles m'étaient indiquées par des personnes sérieuses, et que je croyais entrevoir quelque chose de pratique et d'utile à nos chasses, je ne reculais pas devant les essais, fussent-ils dispendieux. C'est ainsi que j'ai cherché à propager la pintade dans nos tirés. Je savais cependant qu'une première tentative avait été faite déjà du temps des princes d'Orléans et qu'elle avait échoué. La première année j'ai obtenu facilement des éclosions en plein bois. Seulement, au moment de la ponte, il fallait surveiller les femelles qui pondaient, à deux ou trois, dans le même nid, un nombre considérable d'oeufs qu'on était obligé de retirer en partie pour les faire couver par des dindes. J'ai poussé l'expérience dans la forêt de Villefermoy, jusqu'à la troisième génération; les pintades nées dans le bois sont constamment restées à l'état domestique; elles s'envolaient bien à l'approche des rabatteurs, mais, pour aller se brancher près de là, se laissant approcher comme les poules de basse-cour."
Alexandre Tattet était convié aux chasses du cousin de l'Empereur: "Le 26 septembre 1867, Son Altesse Impériale arriva au châlet de Grandvilliers, accompagné de Son Altesse Royale le prince Humbert son beau-frère, de Son Excellence le chevalier Nigra, du général d'Autemarre, du capitaine Brambilla, officier d'ordonnance de Son Altesse Royale, du capitaine Villot, de la maison de Son Altesse Impériale, de M. Alex. Tatet et de l'inspecteur de la forêt. Il a été tué 9 chevreuils. 10 lièvres, 1 lapin, 47 faisans, 7 perdreaux gris, 46 canards et 1 caille; en totalité, 121 pièces. On avait tiré 310 coups de fusil."
Modestement, Sylvanecte, faux-nez d'Alphonse de la Rüe, trouve bien des qualités audit inspecteur: "L'inspecteur des forêts, grand chasseur et grand veneur devant le Seigneur, par un véritable tour de force avait réussi à faire sur un des étangs de Villefermoys un tiré de canards sauvages. Jamais encore jusque-là, on n'avait pu retenir les Halbrands sur un étang ; l'inspecteur des forêts de Paris, avait réalisé ce prodige en retenant les canards par une abondante nourriture. C'était une chasse nouvelle... Au printemps on achetait à des pêcheurs de la baie de Somme environ 300 canards sauvages au tiers de leur grosseur et pris au filet. On les acclimatait sur l'étang de Villefermoys, on les nourrissait copieusement, et on réussissait ainsi à les garder jusques au moment de les chasser." La cour impériale à Compiègne... 1884
En plus de ses fermes, Alexandre Tattet était propriétaire des étangs de Villefermoy, enclavés dans Villefermoy, forêt "de la Couronne", dépendant de l'Inspection de Paris "qui comprenait les forêts de Sénart, de Villefermoys, de Valence et d'Echou, formant un massif de bois touchant à Fontainebleau et s'étendant jusque à Montereau. L'inspecteur en était M. de la Rüe, qui avant était sous inspecteur à Compiègne." La cour impériale à Compiègne, souvenirs contemporains par Sylvanecte 1884
Mais les étangs n'appartenaient pas au Prince, ils étaient la propriété d'Alexandre Tattet. Un heureux arrangement fut trouvé où il semble bien que tous y trouvèrent leur compte: les canards et les châlets semblent avoir été fournis par le Prince qui, en plus d'un opportun pavillon de bains, put profiter de cette nouvelle chasse. "M. Alex. Tattet habite le château des Bouleaux, situé à un kilomètre de Villefermoy; ses terres, en partie, sont enclavées dans la forêt. Propriétaire des étangs, cet excellent voisin en avait offert gracieusement la chasse au prince Napoléon, qui, pour ne pas être en retard de bons procédés, lui avait donné la permission de chasser dans le domaine de la liste civile. M. Tattet était invité à presque toutes nos chasses, et j'en étais fort heureux pour ma part; excellent tireur, il lui est arrivé plus d'une fois, par le nombre des pièces qu'il avait tuées, de sauver le soir l'honneur du tableau des victimes de la journée. Pendant trente ans, j'ai été en rapport d'affaires avec beaucoup de nos grands propriétaires riverains des forêts de la couronne je n'en ai pas rencontré un seul avec lequel les relations étaient plus agréables et plus sûres qu'avec M. Tattet. Avec infiniment d'esprit, il avait cependant une manie c'était de changer de coiffure selon les vents, la température et les saisons. Je n'ai pas oublié un certain chapeau à triple ventilation qui faisait mon bonheur." De la Rüe p 319
Autres traces de la famille d'Alexandre Tattet, de son frère Alfred, Musset, Sand, Hugo etc...
L'inspecteur de la Rüe avait emmené avec lui le garde Dissous qui avait d'abord montré ses capacités à élever des canards sur les étangs de Rambouillet: "Il s'agissait de trouver un garde intelligent, capable et s'entendant bien surtout à l'élevage du nouveau gibier qu'on voulait propager... Mon coeur se serre en me rappelant les promesses que je crus devoir faire à Dissous, pour le décider à accepter l'emploi avantageux que je lui offrais. Ah que n'ai-je pressenti alors que ce bien être, que ce bonheur relatif que je faisais miroiter aux yeux de cette famille aboutiraient à un drame sanglant, à une mort cruelle qui ferait une veuve et trois orphelins! Je n'anticiperai pas sur ce triste évènement, le point le plus noir peut-être de ma vie de forestier je le raconterai plus tard." Dissous logeait à Grandvilliers, dans le poste de garde aujourd'hui détruit...
Alexandre Tattet a été mêlé, bien malgré
lui à un fait divers tragique impliquant le garde Dissous et le fils
d'un des fermiers du châtelain des Bouleaux. Le recensement de 1866
fait figurer, juste avant les Bouleaux, les cultivateurs de l'Heurtebise,
ferme dépendant de Fontenailles, bien qu'ouverte sur la Chapelle
Gauthier, qui faisait aussi partie du domaine Tattet.
Le fermier était Jules Remy, avec son épouse, deux filles
et un fils aîné, Alphonse, alors âgé de 33 ans
qui est l'individu contre lequel s'élèvent de graves soupçons
cité dans "Le Petit Journal" du 26 août 1868...
Ci-contre: extrait du Petit Journal du 26 août 1868
Chasseurs à Villefermoy
sous le Second Empire / 2/2
12° page du dossier sur la chasse
Bizarre autant qu'étrange ! Sylvanecte, auteur de "La
cour impériale à Compiègne", s'obstine
à mettre un S à VillefermoyS, tout comme le fit souvent l'Inspecteur
des forêts de la Couronne Adolphe de la Rüe. Son style est tout
aussi gaillard que celui du forestier aux nombreuses publications, qu'on
en juge par l'introduction du délectable
livre de recettes : "Trente et une manières
de manger le lapin"...
La notice biographique "Sylvanecte" de la BNF indique qu'il s'agirait
en fait de Berthe de la Rüe, propre fille de l'inspecteur, née
en 1841. Que voici donc une fillette bien au courant des faits de chasse
qu'aurait pu vivre son père ! Y aurait-il anguille sous roche et
usurpation de pseudonyme, d'autant que Sylvanecte pourrait se décomposer
en "silva" forêt et "necto" unir, lier...
Après deux beaux mariages qui la laissèrent veuve en 1900
et peut être sans trop de ressources, Sylvanecte / Berthe de la Rüe
(1841/1914) tira bénéfice de la Légion d'Honneur accordée
à son père en 1867 (récompensant 20 ans de service)
pour solliciter l'obtention d'un bureau de tabac en 1905, il fallut reconstituer
le dossier, l'attestation paternelle étant perdue (volée ?
voir plus loin... ) Les autres décorations du forestier eurent-elles
aussi une utilité quelconque : ordre des Saints Maurice et Lazare,
de Charles III d'Espagne, peut être celui de Médidjé
en Turquie pour vendre aussi du tabac turc ;-)
Base Léonore dossier LH/2423/40
Trente et une manières de manger le lapin
Recette du hâtelet de lapin à la Villefermoy
De La Rüe sur Gallica, site de la BNF
En août 1870, Alexandre Tattet est sollicité
par l'inspecteur des forêts de la Rüe :
"Au début de la guerre, je compris tout d'abord que les gardes-forestiers
seraient nécessairement appelés à rendre de véritables
services, dans les localités où ils résident. Mais
les huit gardes de la forêt de Villefermoy, dans le voisinage de laquelle
je demeure, ne suffisaient pas à la réalisation de mon projet
qui était de former une compagnie d'éclaireurs. Autorisé,
encouragé par M. le Préfet de Seine et Marne, je fis appel
au patriotisme des grands propriétaires du pays, et je leur demandai
leurs propres gardes : presque tous accueillirent favorablement ma proposition.
"
Adolphe de la Rüe : Mon Journal dans "Sous
Paris pendant l'invasion : 500000 Prussiens. 45000 prisonniers français,
1870-1871" sur Gallica
A noter que l'inspecteur de la Rüe se conformait
au décret impérial du 15 août 1870 mettant les agents
et gardes domaniaux et communaux des forêts à disposition du
ministre de la Guerre : "Dès l’ordre
de mobilisation du 14 juillet 1870 signé, nombreux sont les forestiers
à vouloir partir en campagne, mais ces volontaires doivent faire
preuve de beaucoup de patience avant de pouvoir marcher sur l’ennemi.
"
Wikipédia article "compagnies de guides-forestiers"
"Le dimanche 21 août, vingt gardes particuliers se trouvèrent au rendez-vous que je leur avais asssigné en forêt. Dans cette circonstance, MM. Alex. Tattet, beau-frère d'un ancien ministre (Le Roux) et le comte de la Chappelle, furent très-énergiques et acceptèrent le projet avec un véritable et patriotique empressement, ce sont de tels hommes qui nous ont manqué au début de la guerre. J'expliquai que mon plan était moins de faire usage des armes, que de servir de guides à nos troupes, de leur indiquer les routes praticables à l'artillerie, etc. etc. " De la Rüe, idem
Un autre témoignage, extrait
de lettres du comte d'Haussonville; quelques détails divergent...
"M. de la Rüe avait, à l'annonce de nos premiers désastres,
et malgré ses soixante trois ans, songé à profiter
de la configuration de ce massif forestier pour y organiser une guerre de
partisans. Le 18 août, il faisait appel à tous les châtelains
ses voisins, et leur demandait de l'aider à former une compagnie
d'éclaireurs forestiers avec leurs gardes, qui se joindraient aux
siens. Presque tous répondirent avec empressement, et parmi ceux
dont je me rappelle particulièrement les noms, il faut citer : le
général comte de Ségur, le comte de Lachapelle, le
comte Horace de Choiseul, M. Alex. Tattet, etc., etc., puis le comte d'Haussonville
qui écrivit du château de Gurcy la lettre exquise qu'on va
lire : "Monsieur, votre plan me paraît aussi raisonnable que
patriotique. Vous pouvez compter sur mes gardes. Ils seront au rendez-vous
de lundi prochain et à tous les autres. On dit qu'il n'y aura pas
de gibier cette année. Tant mieux ! nous ne chasserons que le Prussien."
Le lendemain, monsieur d'Haussonville envoyait ses gardes au rendez-vous
que M. de la Rüe leur avait assigné en forêt de Villefermoys,
au carrefour des huit routes, et où se trouvaient déjà
tous les châtelains cités plus haut, à l'exception de
M. le comte de Choiseul, retenu à la Chambre des députés."
à propos du comte d'Haussonville, supplément
littéraire du Figaro 20 novembre 1886
A moins qu'ils n'aient eu des propriétés plus proches (ou
que je ne me trompe de personnages), les lieux de résidence des comtes
étaient assez éloignés de Villefermoy : le comte Othenin
Joseph de Cléron d'Haussonville 1809/1884 résidait à
Gurcy le Châtel comme il l'indique; le comte Horace de Choiseul-Praslins
1837/1815 résidait dans le "pavillon Choiseul" à
Saint Assise. A noter que Gaston de Choiseul était encore propriétaire
de Vaux le Vicomte, jusqu'en 1875 et que la famille Choiseul Daillecourt
avait eu des possessions à Aubepierre, proche de Mormant, nous y
reviendrons plus loin.
Quel comte de Ségur ? Paul Charles Louis Philippe comte de Ségur
1809/1886 avait un château à Lorrez-le-Bocage (il y avait reçu
Sophie Rostopchine, plus connue sous le nom de comtesse de Ségur);
son père, le comte Philippe Paul, possédait une résidence
plus proche, le château de la Rivière à Thomery. Paul
Charles, comte de Ségur, avait épousé une Greffulhe,
Amélie Jeanne Joséphine 1812/1902 tante d'Henry Greffulhe
auquel quatre pages sont consacrées sur ce site; et le château
de la Rivière de Philippe Paul appartiendra ensuite aux Greffulhe.
A noter que le comte Henry Greffulhe ne fit pas partie des notables sollicités
par de la Rüe qui semblait ne pas l'apprécier. Reste à
trouver le comte de la Chapelle ou Delachapelle qui pourrait faire partie
de la famille Boby de la Chapelle, puissante à Provins et qui donna
plusieurs préfets. Eugène Auguste Boby de la Chapelle décéda
le 16 août 1870 à la fameuse bataille de Gravelotte. A l'évidence,
ce ne pouvait être ce "comte de la Chapelle".
"Installé dans le curieux château de la Chapelle-Gauthier,
entouré de douves et de fossés fermés par des ponts-levis,
on se serait cru, en entrant dans l'immense vestibule de ce château,
dans le burg de quelque farouche margrave des bords du Rhin. Les murs disparaissaient
sous les trophées de chasse, et les veneurs y admiraient avec envie,
depuis le bois de cerf gigantesque tué dans les Balkans, jusqu'à
la trace du sanglier forcé à Villefermoys."
Charles Maurice de Vaux: "Les hommes de sport"
1888
préface d'Alexandre Dumas
Ainsi le baron de Vaux décrit-il la résidence du forestier dans le château de la Chapelle-Gauthier, effectivement entouré de douves et de petits ponts de bois comme on peut le voir sur cette vue depuis le parc. S'il dit vrai, on peut imaginer le hall et le grand escalier décoré des trophées du chasseur. Visionnez "Portrait de la jeune fille en feu" dont les scènes intérieures ont été tournées dans ce château, et ajoutez quelques grands bois de cerfs sur tous les murs...
Faut-il pourtant le croire ? Est-ce la demeure pillée par les Prussiens ? Les chroniques du baron de Vaux ont autant de valeur historique qu'Ici Paris ou Jours de France. Voici comment il relate l'arrivée d'Adolphe de la Rüe à Corbeil :"il fut arrêté à Corbeil par l'ennemi. Frappé, injurié, emprisonné par un jeune officier prussien, il dut passer en conseil de guerre. Par un hasard providentiel, le commandant était, comme M. de La Rüe, franc-maçon." alors que de la Rüe avait écrit : "Un factionnaire bavarois m'arrête; je lui demande en allemand de quel pays il est; il me répond qu'il est de Landau, il connaissait un de mes parents qui habite cette ville, il me donne du feu, j'allume ma cigarette et je passe." Sans commentaires...
Cependant, il était tout à fait possible que le château ait été loué quelque temps au forestier. Après avoir été habité par le comte du Lau d'Allemans, le château fut vendu en 1859 à Louis Danger, puis racheté en 1860 à M. Deneuve, marchand de meubles à Paris "qui le loue, démonte les cheminées, les peintures, les grilles", puis en 1867 à M. Louis, "marchand d'objets d'art et d'objets de curiosité, demeurant à Paris, rue Blanche n°1". Il sera racheté en 1872 par M. Castille, commissionnaire en bestiaux. Pendant cette période trouble, le château fut bien loué, est-ce à de la Rüe ? Source : AD77 monographie de l'intituteur de la Chapelle Gauthier 1889
La Chapelle-Gauthier ou un autre château ? Car le forestier lui-même
déclare : "J'arrive le soir au château
de Courgousson; les Prussiens pendant que j'étais en campagne, m'ont
pillé..." Courgousson est aussi
"entouré de douves et de fossés
fermés par des ponts-levis".
Cette localisation est confirmée par le comte d'Haussonville
: "M. de la Rüe était alors imspecteur
des forêt de la couronne, habitait dans Seine et Marne le château
de Courgausson, très voisin de la partie de forêts qui s'étendait
de Sénart à Montereau."
Courgousson, commune d'Aubepierre : château, 15 ha en dépendant
avec une ferme d’exploitation et 110 ha de terres cultivables, et
10 ha divers, estimés à 370,000 francs. A appartenu à
la famille Choiseul Daillecourt, jusqu'au décès d'Aimée
Constance de Tulle de Villefranche en 1861 ou de son mari en 1841 car Michelin
note, cette même année, dans la notice d'Aubepierre : "Le
château et la ferme de Courgousson, dont les héritiers Guespereau
sont propriétaires, font partie de cette commune." Je
ne sais pas à qui il appartenait en 1870.
Deux ans plus tard, 1870, la France avait
déclaré la guerre aux Allemands qui occupèrent la Seine
et Marne avant d'enclercler Paris. L'intituteur de la Chapelle Rablais nota
sur son cahier-journal, à la date du lundi 19 septembre : "Par
suite de la présence de l'ennemi dans la commune, le 16 à partir
de 2 heures, le 17 et 19, la classe a été suspendue."
Archives de la mairie
La commune ne connut d'autres atrocités que la réquisition d'une
vache et autres fournitures, (contrairement au Châtelet en Brie, voir
sur le site de la Société d'Histoire) mais le paiement des indemnités
de guerre mit à sec le budget communal pendant au moins deux années.
Le 16 octobre 1870, on discuta de la répartition à faire de
la somme de 164.737 francs qui tombait sur l'arrondissement de Provins, qui
était engagé, pour éviter des représailles, à
payer sa part dans le délai de six jours. La commune paya alors 1.359,60
francs. Le 8 janvier 1871, le département étant imposé
pour un million, la part de la commune s'éleva à 3.134 francs.
Les frais de guerre entraîneront un retard important pour les projets
en cours, principalement la nouvelle école, l'actuelle mairie-école
qui ne fut terminée qu'en 1879.
Episodes de la guerre de 1870 la Chapelle Rablais/ Grandpuits / le Châtelet en Brie
Le fermier de Courgousson, Alphonse Chrétien a marié deux de ses filles pendant la résidence présumée d'Alphone de la Rüe. Le forestier ne figure pas parmi les témoins et les signataires. L'un de ses gendres (tous deux Colleau, mais de pères différents), Edouard Colleau, demeurait à "Varenne" (Varennes-Jarcy), arrondissement de Corbeil. Il n'est pas interdit de penser que le gendre fréquentant Corbeil, avait été mis au courant de l'intimité des Prussiens et du forestier, voisin de son beau-père; d'où les soupçons de collaboration évoqués plus haut.
Le 21 mai 1866 Anne Alphonsine Chrétien a épousé Auguste Colleau, fils d'Auguste, fermier à Pecqueux, Aubepierre 5 Mi 5351 p 61; le 12 octobre 1868, Virginie Eulalie a épousé Edouard Colleau, fils de feu Louis, domicilié à Varenne, arrdt de Corbeil 5 Mi 5351 p 80
De la Rüe aimait bien n'en faire qu'à sa tête, voici comment il concevait sa mission d'éradiquer les lapins qui faisaient tant de ravages dans les cultures: "Détruire jusqu'au dernier des lapins, grand Dieu ! Et nos chasses aux bassets, au furet, à gueules ouvertes, en battue, à la surprise et à la bourse ! Et les charmes si grands d'une chasse aux lapins qu'on ne tire jamais deux fois de la même manière, avec un bon épagneul, dans de jeunes taillis, où comme entrefilet, il vous part un chevreuil, une bécasse ou un faisan ! Et puis, est-ce que la vie à la campagne serait supportable si nous n'avions plus un seul lapin ? Mais ce serait à y mourir d'ennui !...." dans: Trente et une manières de manger le lapin.
D'autres facettes de la personnalité d'Adolphe de la Rüe sont à découvrir dans ses nombreux écrits. Ne sont évoquées ici que celles en rapport avec son office à la forêt de Villefermoy et son séjour en Brie...
Napoléon Jérôme Bonaparte, dit Plonplon était habitué à la fantaisie. Il avait fait construire, avenue Montaigne, pour honorer sa maîtresse Rachel, une fastueuse villa pompéienne, qu'il ne garda que peu de temps, Marie Clotilde de Savoie qu'il épousa après le décès de la comédienne, appréciant peu l'endroit. Il se débarrassa aussi de la propriété de Vilgenis, à Massy, ayant appartenu au beau-père du marquis de Tamisier (voir la page précédente), rachetée par Jérôme Bonaparte, frère de Napoléon 1° et père de Plonplon. Jérôme agrandit le domaine et eut la fantaisie d'y creuser un étang ayant la forme du célèbre chapeau de l'Empereur!
Des multiples relations de Napoléon Jérôme, naquirent
quelques enfants illégitimes; de Marie Scheppers, naquirent un petit
Napoléon Céligny et une petite Catherine. Il suivait en cela
les traces de son père à qui l'on attribue une dizaine de
bâtards.
Et que dire de son célèbre cousin, l'empereur Napoléon III? Il ne fallait pas chercher bien loin pour retrouver des enfants de ses oeuvres. Pour tout dire, à la lisière de la forêt de Villefermoy, dans la commune de la Chapelle Rablais, au château des Moyeux. Eugène Alexis Louis, dit Pipiou, futur comte d'Orx et son frère Louis Ernest Alexandre, comte de Labenne (deux lieux situés dans les Landes, en cours de valorisation par comte Alexandre Colonna Walewski, fils naturel de Napoléon I°, encore un!), fils de Léonore Vergeot...
Eleonore Vergeot, 21 Champs Elysées, Paris, et châtelaine des Moyeux, la Chapelle Rablais entre 1865 et 1870, eut des débuts bien modestes. Elle s'appelait alors Alexandrine, née en 1820 à Estouilly, dans la Somme, elle était repasseuse dans la ville de Ham. Ce bourg tire sa célébrité d'une forteresse où furent détenus, entre autres prisonniers politiques, Louis de Condé, le prince de Polignac, le général Cavaignac et Louis Napoléon Bonaparte. Celui-ci y était emprisonné à perpétuité pour avoir tenté de renverser Louis Philippe en 1836 à Strasbourg puis en 1840 à Boulogne.
Le caractère du prisonnier commençant à s'aigrir du fait d'une chasteté prolongée, il lui fut octroyé une maîtresse choisie administrativement, sous le prétexte de s'occuper du linge du prisonnier. Une dizaine de jeunes filles furent présentées à Louis Napoléon Bonaparte par l'entremise d'un abbé, Vital-Honoré Tirmarche. Alexandrine-Eléonore fut choisie; on l'appelait la Belle Sabotière, surnom qu'elle garda quand Louis Napoléon devint célèbre.
Mais, en décembre 1842, le commandant du fort de Ham écrivit à son ministre: "Par ma lettre du 26 novembre dernier, j'ai eu l'honneur de vous rendre compte que la femme que vous avez autorisée à entrer dans la prison pour visiter et réparer le linge est enceinte..." Eléonore fut éloignée de la prison de Ham pour l'accouchement qui eut lieu à Paris, chez un très proche du prince, Pierre Bure, frère de lait de Napoléon III.
Le bébé d'Eléonore naquit le 25 février 1843
et reçut les prénoms d'Eugène Alexandre Louis. Le père
demanda à une amie intime, Mme Cornu (aucun
rapport avec les seigneurs de la Chapelle Rablais au XIII° siècle!)
de le prendre en pension; elle était fille d'une dame de compagnie
de la reine Hortense, mère de Louis Napoléon.
Eléonore retourne au fort de Ham, puis, en mars 1845, à force
de repasser le linge du prisonnier, elle met au monde un second fils, Louis
Ernest Alexandre, à Paris, sous la protection, à nouveau,
de Pierre Bure.
Avec un sens du partage qui l'honore, Louis Napoléon confia son
ancienne maîtresse aux bons soins de son ancien compagnon de têtée.
S'il ne souhaita pas la revoir, il la dota de 1.600 francs or de rente annuelle
par l'entremise de Pierre Bure chez qui Eléonore avait pris ses quartiers,
si confortablement qu'un nouveau poupon, Jean Bure, naquit hors mariage
en 1850. Eléonore et Pierre Bure eurent ensuite deux enfants légitimes.
Louis Napoléon Bonaparte étant devenu Napoléon III,
et son frère de lait occupant les fonctions de trésorier général
de la Couronne, l'empereur demanda à Pierre Bure de régulariser
sa situation conjugale, ce qu'il fit en 1858, reconnaissant dans la foulée
les deux rejetons de l'empereur: "Lesquels enfants
les futurs ont reconnu pour leur appartenir et entendu légitimes..."
acte de mariage du 3 août 1858, mairie du II arrondissement
Napoléon Jérôme Bonaparte, chassant à Villefermoy et se baignant dans les étangs pouvait très facilement rendre visite à ses petits cousins illégitimes. L'a-t'il fait? Rien ne le confirme, comme on ignore si l'auguste père fit le déplacement jusqu'à la Chapelle Rablais. Quant aux villageois, savaient-ils que le trésorier général de la Couronne, châtelain des Moyeux, élevait deux enfants nés d'actifs repassages du célèbre prisonnier de Ham?
La comparaison de plans de l'époque montre, effectivement, la disparition
du hameau "Maison Rouge", on le
vérifie en passant la souris sur le plan ci-dessus, entre l'extrait
en couleur de la carte d'Etat Major, avant 1870 et le plan de la forêt
tracé par le garde Osterberger en 1881.
Mais il faut avouer qu'à l'époque, la disparition de petites
exploitations agricoles n'était pas chose rare. De nombreux écarts
de la Chapelle Rablais ont disparu au fil des siècles, principalement
au cours du XIX°, quand les grands propriétaires étendaient
leurs terres et regroupaient leurs fermes. Et ce mouvement avait commencé
bien avant la Révolution: "aux Montils
et à la Chapelle Rablay, la diminution de la valeur des terres est
si forte, qu'il y a cinq fermes abandonnées dans ce moment ci."
1789 / AD77 J 379 Sept
hameaux y avaient disparu avant l'établissement du cadastre en 1832,
et huit autres disparaîtront ensuite, dont il ne reste plus aucune
pierre, ayant probablement servi à d'autres constructions. Le comte
Greffulhe, propriétaire de terres proches, n'hésitait pas
à laisser à l'abandon ses exploitations agricoles, préférant
étendre le domaine de ses chasses, comme nous l'avons vu précédemment
: "Le rêve de M. Greffuhle serait
assurément que tout le département de Seine et Marne fût
converti en une immense terre de chasse appartenant à lui seul et
à quelques autres gros propriétaires comme lui. S'il consent
à avoir des fermes et des fermiers, c'est absolument pour la frime,
pour donner le change et pour faire croire qu'il ne rejette pas entièrement
et de parti pris toute culture sur ses terres. Mais au fond, M. Greffuhle
se soucie bien moins d'un cultivateur que d'une volée de perdreaux.
Il est très loin de compter sur ses revenus de terre pour soutenir
son train de maison ou seulement pour payer les frais de chasse à
Bois Boudran." Le Briard, 9 décembre
1892, original au fonds ancien, bibliothèque de Provins
Doc : Hameaux de la Chapelle Rablais, carte, liste et sources
Doc : les propriétés du comte Greffulhe autour de Villefermoy
Les recensements de Fontenailles confirment l'abandon
de la Maison Rouge entre 1872 et 1876, qui ne semblait plus habitée
que par un fermier et sa famille : Louis François Ropsy, cultivateur,
42 ans & Mélanie Tisserand, 38 ans, ainsi que Louis Ropsy, 12
ans. Pas de jardinier, pas de concierge ou de régisseur qui auraient
indiqué un usage plus prestigieux.
Recensements 1872 10 M 237; 1876 10 M 268
La Maison Rouge a bien disparu à la période indiquée par le père Gérôme, mais il ne s'agissait probablement que d'une grosse ferme... Reste à trouver le document qui prouverait le contraire...